Le cosmodrome de Baïkonour

Alors que la Seconde Guerre mondiale est à peine terminée, les Etats-Unis et l’Union soviétique se lancent dans une course effrénée à l’armement et aux missiles. C’est dans cette optique qu’est créé, en plein cœur du désert kazakh, un cosmodrome d’essai pour des missiles intercontinentaux, son nom, Baïkonour, est entré dans l'histoire pour être le lieu de départ des plus grandes expéditions spatiales soviétiques. Son souvenir est gravé dans les mémoires russes et kazakhes comme une fieré nationale, et dans la terre avec ses différentes zones de lancements et la ville éponyme, en partie abandonnée depuis.

Lancement fusee depuis baikonour

 

La construction du cosmodrome de Baïkonour

En 1955, l’ingénieur Sergueï Pavlovitch Korolev est chargé du développement des missiles R-7 Semiorka, un tout nouveau type de missiles qui devait être capable de traverser des continents. Après la Seconde Guerre mondiale, les Américains et les Soviétiques cherchent à mettre la main sur les ingénieurs allemands qui ont aidé à concevoir des fusées V1 et V2. Leur expertise est recherchée pour développer leurs capacités de défense respectives, en particulier chez les Soviétiques pour faire face à l’avance technologique américaine avec la bombe atomique. L’avenir de la guerre semble être celui des Portrait Sergei Korolevmissiles longue portée avec les missiles dits intercontinentaux, capable de voler sur des dizaines de milliers de kilomètres.

Pour son projet, Korolev a besoin d’un vaste terrain plat où il ne risque pas d’être gêné par des bâtiments qui bloqueraient la liaison radio entre le centre de commande et les missiles. En effet, après la guerre, le centre d’essai principal de l’URSS se trouvait à Stalingrad, près de la ville et les installations ne permettaient pas d’installer des missiles longue portée et les débris des fusées retombaient sur les habitations. Une commission chargée de la relocalisation du centre parvient à se mettre d’accord sur la région de Tiouratam, dans l’actuel Kazakhstan, située à 2 200 km à l’est de la mer d’Aral, desservie par une simple ligne de chemin de fer avec une petite gare. La localité la plus proche se trouve à 320 km, une certaine Baïkonour. L’endroit est idéal. Il n’y a pas de montagne pour gêner les liaisons radio, il n’y a pas d’habitation et l’emplacement permet un lancement dans de meilleures conditions qu’ailleurs grâce à sa proximité avec l’équateur. Il faut cependant compter sur un écart de température allant de -40 °C l’hiver à 50°C l’été et où la plaine est balayée par de puissantes tempêtes de sables et les lieux sont infestés par les rats.

En 1956, la construction du site démarre pour accueillir en septembre le lancement du premier missile intercontinental R-7, pouvant parcourir jusqu’à 10 000 km. Plus de 3 000 ouvriers sont réquisitionnés pour la construire le complexe. Une petite ville est pour l'occasion construite à proximité afin de loger ouvriers et ingénieurs. Pour améliorer l’accessibilité du site, le réseau ferré est renforcé mais surtout un aéroport est construit en 1957. Le lancement du premier missile est une réussite. Il parvient jusqu’à la péninsule du Kamchatka, à plus de 6 500 km de Baïkonour. L’Europe est désormais menacée par une arme d’un tout autre genre. Mais pour Korolev, ce n’est pas assez. Il vise plus loin, plus haut. Il vise l’espace.

Vue aerienne de baikonour

Vue aérienne du site de Baïkonour en plein cœur du désert kazakh

 

Baïkonour et la course à l'espace soviétique

En 1957, Baïkonour devient le centre névralgique du projet spatial soviétique. C’est depuis ce cosmodrome qu’est lancé, le 4 octobre Spoutnik 1 - ITAR-TASS1957, le premier satellite dans l’espace, nom de code, Spoutnik-1 (photo). Un mois plus tard, c’est au tour du premier être vivant avec la chienne Laika, qui décède cependant durant la mission. Il faut attendre le 19 août 1960 pour qu’un couple de chiennes, Belka et Strelka, revienne vivant de l’espace.

En janvier 1959, la première sonde lunaire, Luna, quitte Baïkonour mais se perd dans l’espace. La sonde Luna 2 parvient, elle, à revenir sur Terre. Ce n’est qu’avec Luna 9 en 1966 qu'une sonde parvient enfin à se poser sur la Lune. Entre temps, les ingénieurs soviétiques réussissent l’exploit d’envoyer le premier homme dans l’espace. Le 12 avril 1961, Yuri Gagarine (photo ci-contre) est envoyé dans l’espace et revient vivant. Son histoire fascine le monde et il devient une véritable star, en plus d’être un héros national pour l’URSS. Le 16 juin 1963, c’est au tour de la première femme, Portrait yuri gagarinValentina Terechkova. C’est toujours à Baïkonour que sont ensuite développées les nombreuses fusées du programme spatial soviétique puis russe avec les fusées Soyouz, Proton, Zenit, Dnepr et Tsyklon.

En plus du projet spatial, Baïkonour continue d’accueillir les essais de missiles militaires. Sous la direction de Mikhaïl Kouzmitch Yanguel et Vladimir Nikolaïevitch Tchelomeï, les inventions militaires s’enchaînent et le cosmodrome grandit à vue d’œil. Plusieurs prototypes sont mis sur pieds. Il participe plus ou moins indirectement au développement des fusées qui sont destinées, elles, à l’espace. Le nombre de pas de tir (les zones de lancement), de complexes de construction et d’entretien, se multiplient avec le temps. Rapidement, le site s’étend sur plusieurs dizaines de kilomètres (75 du nord au sud et 90 est-ouest).

Malgré l’expertise des ingénieurs soviétiques, pendant un temps inégalée, certains échecs ont eu lieu à Baïkonour. Le plus important est la catastrophe de Nedelin, le 24 octobre 1960. Une fusée explose au lancement et tue entre 100 et 150 personnes, dont des membres de l’équipe scientifique. En souvenir, un mémorial a été construit. Il se trouve que l’année suivante, le même jour, une autre catastrophe a lieu, qui a tué 7 personnes. En conséquence, les Soviétiques ne lancèrent plus aucune fusée un 24 octobre. En 1988, le projet Bourane envisage de lancer une navette dans l’espace grâce au lanceur Energia. C’est un échec. Il n’y a qu’un vol Bourane cette année et le projet est abandonné.

Fierté du régime soviétique, le cosmodrome a pendant une décennie était un projet secret. Il fut désigné sous de nombreux noms secrets comme Leninsk, et n’avait pas d’adresse postale. C’est avec l’exploit de Yuri Gagarine que la nécessité d’un nom s’est faite sentir, notamment pour contenter la presse soviétique et internationale. Pour tromper les journalistes, Moscou fait le choix d’utiliser le nom de Baïkonour, bien que le site soit à 320 km de la ville, pour garder la localisation exacte secrète, en particulier contre les espions américains. Cela marche un temps mais le site est découvert peu de temps lorsque les nouveaux satellites américains sont désormais en orbite. Baïkonour est une couverture mais le site adopte officiellement le toponyme en 1995. Il y a désormais deux Baïkonour au Kazakhstan. En outre, la ville adjacente est elle-aussi appelé Baïkonour.

 

Les conséquences de la geurre froide et le destin du cosmodrome

Le cosmodrome a évolué en même temps que la guerre froide. Après une remarquable évolution lors de la course à l’espace dans les années 1960 et au réarmement durant les années 1980 avec le projet américain Star Wars sous la présidence de Ronald Reagan, le site périclite au moment de l’éclatement de l’URSS. La majorité des pas de tir et des complexes sont abandonnés et la ville est désertée par les travailleurs après 1991 à cause d’une détérioration des conditions de vie sur place. De 100 000 personnes, elle passe à 20 000. De plus, la population était majoritairement russe et fut ainsi rapatriée en Russie lorsque le Kazakhstan devient indépendant en décembre 1991. Cependant, la présence d’un cosmodrome russe en territoire kazakh pose des problèmes géopolitiques, en particulier de souveraineté. Après des années de négociations, un accord de location est conclu en 1994 entre les deux pays. En échange de 100 millions d’euros chaque année, la Russie obtient la propriété du cosmodrome jusqu’en 2050.

Malgré cet accord, les Russes déplacent tout de même une partie de leurs activités vers d’autres cosmodromes au sein du territoire national, afin de ne pas dépendre du Kazakhstan. Les activités militaires sont ainsi déplacées vers Plessetsk (ou Plesetsk), dans le nord de la Russie, tandis qu’une partie des essais de fusées sont envoyées depuis Vostotchny, dans l’Est, près du fleuve Amour.

Pas de tir fusee soyouz baikonourPas de tir de fusées Soyouz

Baïkonour aujourd'hui, entre poursuite spatiale et mémoire

Baïkonour continue toutefois d’accueillir des missions spatiales, dans la continuité de son histoire et par rapport à l’emplacement du site pour lancer des fusées. Elle est l’une des bases de lancement les plus actives de la planète. Avec la fin de l’URSS, les visiteurs du cosmodrome commencent à venir du monde entier. En 1995, Norman Thagard est le premier Américain à mettre le pied sur place. En 2016, le spationaute Thomas Pesquet part pour la station spatiale internationale depuis Baïkonour. Malgré leurs différences, tous les astronautes (terme générique) doivent respecter un rituel entre leur arrivée sur place et le lancement dans l’espace. Il date de l'époque de Yuri Gagarine et symbolise à la fois la tradition mais aussi un peu de superstition pour éviter la malchance.

Depuis sa création en 1955-1956, Baïkonour s’est agrandi jusqu’à atteindre 6 700 km² et a compté plusieurs centaines de milliers de travailleurs sur place (ouvriers, techniciens, astronomes et ingénieurs). La renommée du cosmodrome s’est faite avant tout grâce aux exploits techniques des années 1960 mais s’est maintenue grâce à l’expertise technique et scientifique du personnel de Baïkonour, en particulier celle Korolev. Pour honorer les grands chercheurs, le site est divisé en 3 zones : centrale, orientale et occidentale avec pour chacune le nom d’un des grands hommes de Baïkonour, respectivement : Korolev, Yanguel et Tchelomeï.

En partie désaffecté, le cosmodrome et la ville sont toutefois en reprise de vitesse grâce à des investissements russo-kazakhs et étrangers. Des partenariats entre firmes européennes et américaines et firmes russes voient le jour comme Boeing et Zenit au sein du groupe américano-russe de Sea Launch, ou Starsem entre le français Arianespace et Soyouz. Le site abrite également un musée à la gloire du programme spatial soviétique ainsi que plusieurs sculptures de fusées et une statue de Yuri Gagarine pour créer une activité touristique.

Preuve de la grandeur de Baïkonour, les présidents français Charles de Gaulle et Georges Pompidou sont les premiers dirigeants étrangers à visiter le cosmodrome en 1966 et 1970. Il intègre également la culture populaire grâce à des jeux vidéo comme Call of Duty Black Ops (2010) où une mission se déroule sur place.

                                                                                        Fusée Soyouz exposée aux touristes - Jean-François Haït

Fusée Soyouz exposée à Baïkonour © Jean-François Haït

 

 

Publié par Adrien RASATA le 16/02/2022

Sources

Articles internet :

Articles de presse :

Vidéos YouTube :

  • Baikonur Cosmodrome : The Soviet Gateway to the Stars par la chaîne Geographics, mise en ligne le 8 février 2020 [en ligne] [visionnée le 04/12/2021] Disponible sur : https://youtu.be/VJoMsrLiuCo
  • Le cosmodrome de Baïkonour | 3 minutes de culture #51 par la chaîne Slavier, mise en ligne le 28 mars 2021 [en ligne] [visionnée le 04/12/2021] Disponible sur : https://youtu.be/R_O_-UWLG8I
  • Yuri Gagarin : The first man in space – BBC News par la chaîne BBC News, mise en ligne le 12 avril 2021 [en ligne] [visionnée le 04/12/2021] Disponible sur : https://youtu.be/KANuFlelQ5k

Crédits images :

  1. Lancement d’une fusée depuis Baïkonour. Auteur inconnu. Disponible sur : https://www.tsarvoyages.com/fr/blog/blog-avril-2020--conquete-spatiale-9875
  2. Portait de Sergeï Korolev. Auteur inconnu. Disponible sur : https://quotepark.com/fr/auteurs/sergei-korolev/
  3. Vue aérienne du cosmodrome de Baïkonour prise par Bill Ingalls (NASA). Disponible sur : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Baikonuriss.jpg
  4. Photographie du satellite Spoutnik-1. ITAR-TASS. Disponible sur : https://www.sciencesetavenir.fr/espace/il-y-a-60-ans-spoutnik-le-tout-premier-satellite-se-desintegrait-dans-l-atmosphere_119601
  5. Photographie de Youri Gagarine. Auteur inconnu. Disponible sur :  https://space.fandom.com/wiki/Yuri_Gagarin
  6. Pas de tir d’une fusée Soyouz en 2009. Bill Ingalls (NASA). Disponible sur : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Soyuz_expedition_19_launch_pad.jpg
  7. Fusée Soyouz exposée pour les touristes. Jean-François Haït. Disponible sur : https://thegoodlife.thegoodhub.com/2016/04/15/nostalgie-baikonour/
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