Bataille de Marignan (1515)

Lorsque l’on parle généralement de la bataille de Marignan, instinctivement on cite cette date, 1515 (quinze cent quinze pour les puristes). Une date facile à se rappeler, non ? Marignan fait partie de ces nombreuses dates qui ponctuent notre histoire de France et qui forment ce qu’appelait l’historien Ernest Lavisse à la fin du XIXe siècle, le roman national. Une date que bon nombre de Français peuvent citer lorsqu’on leur pose la question. Mais combien connaissent vraiment l’histoire et le contexte de cette bataille ?

Moins d’une année après son accession au trône de France, François Ier, symbole de la Renaissance française dans les programmes d’histoire, se lance dans une campagne en Italie. Tout comme ses prédécesseurs Charles VIII (1470 - 1498) et Louis XII (1462 - 1514), il y va à la recherche d’un héritage perdu, le duché de Milan. Bravant la frontière des Alpes, il se retrouve en Italie à une dizaine de kilomètres de Milan lorsqu’il fait face les 13 et 14 septembre aux alliés du duc de Milan, les Suisses. Maîtres des Alpes et mercenaires hors-pairs, les soldats suisses sont reconnus pour leur bravoure au combat et face à eux, se dresse un jeune roi âgé tout juste de 21 ans mais à l’armée massive et à l’appui d’une puissante artillerie. Un choc entre deux puissances aux portes de Marignan. Une bataille d’envergure par le nombre de soldats impliqués et sa brutalité ce qui permet au maréchal de France Jean-Jacques de Trivulce de parler de « choc des géants ».

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Il était une fois le roi François

Lorsque François d’Orléans, fils du comte d’Angoulême, vient au monde en 1494,Blog de Didier: Éphéméride du 12 septembre le trône de France est bien loin pour lui car il fait partie de la branche cadette des Valois. Pourtant, Louis XII n’a pas d’enfant mâle vivant après les décès de ses fils, en 1492 et 1496, pour lui succéder et voit en François un successeur tout désigné. Celui-ci, sa sœur et sa mère, Louise de Savoie, s’installent, à la demande du roi, au château d’Amboise pour être plus près de la Cour. Sur place, il y reçoit l’éducation d’un prince auprès des plus grands humanistes. En 1506, Louis XII le fiance à sa fille Claude de France, née en 1499, alors qu'il n'a que 12 ans. Avec le temps, la santé du roi vacille de plus en plus et le 1er janvier 1515, il s’éteint à Paris.

François d’Angoulême, alors âgé de 20 ans est couronné le 25 janvier, devenant ainsi François premier du nom. Il reçoit de son prédécesseur un royaume vaste peuplé de 16 millions de personnes et surtout un royaume riche qui en fait l’un des plus puissants d’Europe et il doit affirmer son pouvoir face à ses rivaux politiques et face aux autres nations européennes comme les royaumes d’Angleterre et d’Espagne et le Saint Empire romain germanique. Et pour ce faire, quoi de mieux que de commencer par une campagne militaire victorieuse. Comme champ de bataille, François Ier choisit l’Italie, dans la continuité de ses prédécesseurs, Charles VIII et Louis XII, en revendiquant à son tour les terres milanaises et napolitaines.             

 

Un contexte géopolitique complexe

Vers la fin de son règne, Louis XII avait commencé les préparatifs pour une nouvelle campagne et François Ier a pu en bénéficier, ce qui lui permet de partir au début de l’été. Mais avant cela, il doit mettre en ordre les affaires du royaume et nouer des relations avec les seigneurs français. Il organise des mariages entre les princes et princesses avec des seigneurs étrangers pour sécuriser ses positions, notamment entre Charles de Gand (futur Charles Quint) et Renée de France, sœur de Claude de France. Ce dernier n’a malheureusement pas lieu et en compensation sont offertes à Charles des villes du nord du royaume. Le 16 avril, François Ier parvient à négocier un traité de paix avec le roi d’Angleterre Henri VIII en échange d’un million d’écus, en faisant fondre une partie des bijoux et orfèvreries de la couronne, de la promesse d’accords commerciaux et du retour de Mary Tudor, la dernière épouse de Louis XII.

La France possédait également des alliés en Italie, les Vénitiens. La péninsule italienne n’est pas un territoire homogène. Les cités du nord ainsi que les États du pape se battent entre eux pour la suprématie. Venise, un des pôles économique et politique de la vallée du Pô, forge avec la France une alliance lors de la campagne de Louis XII en 1513. Les 20 et 21 mars 1515, les ambassadeurs vénitiens et le roi se sont retrouvés à Paris et ont maintenu l’alliance. François s’offrant un allié militaire de choix grâce à une promesse de division des terres septentrionales italiennes s’ils sont victorieux.

D’autre part, une autre cité importante du Nord, Gênes, entretenait des relations diplomatiques avec la France. Gênes était une cité indépendante depuis 1513 mais les tensions montent dans la ville ligurienne et le doge (nom du dirigeant) Ottaviano Fregoso risque d’être renversé par les autres familles influentes. Il entre en contact avec François Ier en lui offrant l’aide de la cité et la soumission de Gênes à la puissance française s’il lui permet de rester à la tête de la cité. Durant le mois d’avril les négociations sont entamées et le 21, l’alliance entre la France et Gênes est signée.

Mais cela n’est pas du goût des Suisses. Le cardinal de Sion Matthieu (ou Matthaüs) Schiner encourage ses concitoyens à prendre les armes contre la France et lors de la session de la diète du 25 avril à Lucerne il obtient la formation d’un corps expéditionnaire de 4 000 hommes avec pour objectif de franchir les Alpes par le col du Saint-Gothard et de prendre position dans le Milanais. Ils sont rejoints par une compagnie milanaise de 2 000 hommes au début du mois de mai. Le 14 mai, les confédérés suisses font une levée d’hommes et un corps expéditionnaire de 12 000 soldats est formé. Pour défendre le Milanais ce sont alors près de 24 000 soldats qui sont présents. L’armée se sépare ensuite entre Novare et Alexandrie (une ville à 75 km à l’est de Turin). L’objectif, surprendre les troupes françaises une fois qu’elles auront franchi les Alpes. De plus, pour éviter une avancée française en terres italiennes, les Suisses se positionnent pour bloquer les cols qui mènent vers l’Italie, entre Suse et Saluces. Ils bloquent Suse et Pignerol dans le nord laissant le sud qui est moins praticable par une armée volumineuse.

L'expédition vers l'Italie

Pour son expédition, François Ier fait lever une armée d’environ 60 000 soldats sur l’ensemble de son royaume. Le point de rendez-vous est Lyon, alors ville commerciale de grande importance le long du Rhône. Dans la nuit du 29 juin, il quitte Amboise et à son arrivée il est reçu en grandes pompes avec une entrée royale. Le 11 juillet, le roi est aux portes du Dauphiné, dernière province avant les Alpes et la plaine du Pô en Italie. Une fois les préparatifs terminés, le 1er août, l’armée royale se met en marche pour Grenoble et le 4, le connétable Charles de Bourbon, chef de l’armée du roi, prend la route avec l’avant-garde. Il est accompagné de pièces d’artillerie, d’unités de cavalerie et d’officiers, parmi lesquels se trouve un certain Jean-Jacques Trivulce, maréchal de France.

Charles de Bourbon est conscient de la situation de l’armée française, elle ne peut passer que par certains cols : le Mont-Cenis, Mont-Genèvre et le col Agnel. Le premier est le col traditionnel entre la France et l’Italie et le second est le seul en territoire français. L’objectif de l’avant-garde est donc de trouver un autre passage pour contourner les Suisses. C’est là que le maréchal Trivulce entre en jeu. En juillet, il avait pour mission de partir en reconnaissance pour trouver des accès potentiels à l’intérieur du territoire dauphinois. Un seul retient son attention, il est situé près de Guillestre à une trentaine de kilomètres au sud de Briançon. Le passage y est praticable mais très étroit et dangereux. Pour le commandement français, la conquête de l’Italie se fera par ce passage que l’on nommera plus tard le col de l’Argentière.

Afin de maintenir les Suisses dans la croyance d’une potentielle attaque par Suse, un contingent de 10 000 lansquenets sont envoyés pour faire diversion. Le reste de l’armée part pour Guillestre. Les précédant de quelques jours, l’avant-garde du connétable s’avance vers le col. Pour le rendre plus apte à accueillir une large armée, l’ingénieur espagnol Pedro Navarro et 1 000 à 2 000 sapeurs travaillent au dégagement de la voie. À coups d’explosions et de déblayages, la voie est libérée. Le passage reste tout de même dangereux. L’artillerie doit être laissée sur place et emmenée ultérieurement. Le 13 août, le roi arrive à Guillestre et passe les Alpes avec son armée. L’étroitesse du lieu fait que l’armée de 40 000 hommes s’étend sur près de 50 kilomètres et met 3 jours à arriver en Italie où elle se réunit à Demonte. François Ier vient de franchir les Alpes avec une armée et reproduit ainsi l’exploit d’Hannibal et de ses éléphants.     Cartemarignan

Premiers pas en Italie et capture de Prospero Colonna

De l’autre côté des Alpes, la situation est des plus troubles. En effet, une coalition anti-française s’est mise en place avec le duc de Milan, les Suisses, le pape et d’autres seigneurs italiens et les désaccords sont légion. Maximilien Sforza ne peut opposer à la France que les troupes d’un de ses capitaines, Prospero Colonna, un condottiere c’est-à-dire un mercenaire qui combat avec sa troupe suivant un contrat passé au préalable. Celui-ci se poste avec ses troupes à Carmagnola au sud de Turin et contrôle les cols.

Persuadé que les Français attaqueront par Saluces, il ne tient pas compte des rapports de ces éclaireurs qui ont aperçu l’avant-garde française sortir des Alpes le 11 août, plus au sud et décide de rester à Carmagnola. Le commandement français découvre lui aussi la position de Prospero Colonna et le maréchal Jacques II de Chabannes (dit la Palice) met en place un plan pour capturer le condottiere. Avec quelques capitaines comme Bayard ou le seigneur Humbercourt, la Palice part pour Carmagnola avec 2 000 hommes. Au matin du dimanche 12 août, les éclaireurs informent la Palice que Colonna est parti pour Pignerol et Suse. En fin de matinée, le condottiere s’arrête à Villafranca, à 25 km de Carmagnola pour prendre son repas et reposer ses hommes. Dans leur descente, les Français aperçoivent des éclaireurs milanais et se lancent à leur poursuite pour éviter qu’ils ne donnent l’alerte. Lorsqu’ils arrivent à Villafranca, le capitaine Humbercourt parvient à bloquer la fermeture des portes avec ses hommes et entre dans la ville. À l’arrivée des Français, les habitants de Villafranca sortent de chez eux et attaquent la garnison de Colonna. Cet effort conjugué empêche une défense efficace. 500 hommes sont faits prisonniers, le reste est tué et Prospero de Colonna est capturé puis ramener à la hâte en lieu sûr pour éviter les renforts milanais à quelques kilomètres de là. La capture du condottiere marque un coup à la fois au dispositif militaire suisse en décapitant leur cavalerie mais aussi au moral des soldats qui voient l’efficacité au combat de la cavalerie française. Le doute commence à s’installer dans les rangs des confédérés suisses. Une brèche que François Ier ne s’attarde pas à exploiter.

Le traité de Gallarate

 Quelques jours après la capture de Colonna, François Ier émerge des Alpes avec le gros de ses troupes. Les Suisses quittent leur position de Pignerol et Saluces et se dirigent vers Milan. Les Français prennent en chasse les Suisses et ces derniers pour les ralentir pillent, brûlent et saccagent champs, villes et bourgs. La discorde monte dans les rangs suisses avec des cantons comme Fribourg ou Berne qu’il est préférable de signer une alliance avec les Français et quitter le duc tandis que d’autres comme Schwyz, Uri ou Glaris restent sur leur position. À partir du 18 août, des négociations sont ouvertes entre François Ier et les représentants des cantons à Verceil, ce dernier offrant une somme d’argent non négligeable si les cantons acceptent de repartir en Suisse. Les négociations n’aboutissent pas mais une scission s’affirme chez les Confédérés. À la fin août, les Suisses sont arrivés à Novare qu’ils occupent, mais la discorde entre les chefs de cantons et la solde qui n’arrive pas pour les soldats ont entraîné le départ pour Verceil des cantons de Berne et de Fribourg, soit un peu plus de 3 000 hommes. Le roi prend alors le chemin pour Verceil et envoie le connétable de Bourbon prendre Novare. Un siège court car les Suisses avaient quitté la ville peu de temps avant et les quelques poches de résistance ont vite été vaincues. Le 28 août, François Ier quitte Verceil pour Novare et laisse son oncle Charles de Savoie gérer les négociations à sa place.

Le 8 septembre à Gallarate, où les négociations avaient été déplacées, les Suisses acceptent les termes du roi de France qui leur offre 400 000 livres payables en trois fois ainsi que des terres en Milanais et promettait une place pour le duc de Milan en France. Un accord encouragé par la présence française du maréchal de Lautrec et de ses 6 000 hommes qui encerclaient Gallarate. L’armée des Confédérés n’a jamais été aussi affaiblie. En soutien aux Suisses, le pape envoie une petite armée dans le Sud du Milanais pour diviser les forces du roi et limiter la pression sur Milan.

Continuant leur avancée en Milanais, François Ier arrive à Marignan le 10 septembre, une petite ville à une dizaine de kilomètres au sud de Milan. Les hommes s’y reposent en profitant des quelques ressources qu'offrent les environs comme un peu de vin dans les caves et du foin pour les chevaux et les animaux des convois. Si le roi loge dans un couvent en hauteur, les troupes sont cantonnées dans la vallée en contre-bas. Après ce repos, l’armée française n’avance plus que de quelques kilomètres par jour.

Le "choc des géants" entre Français et Confédérés

Le 13 septembre, Louis de Trémoille, lieutenant général, et le grand maître de Boisy partent en reconnaissance pour trouver une nouvelle position pour le camp. Une fois le choix décidé, de Boisy retourne au camp et de Trémoille part pour Milan afin de constater la situation des Suisses retranchés. Sur place, le cardinal Schiner continue, comme il l’avait fait depuis le début, à haranguer les foules et les soldats pour défendre Milan contre les prétentions françaises. Les dissensions sont de plus en plus fortes entre bellicistes comme les cantons d’Uri, de Schwyz et Lucerne et pacifistes avec Zurich et Zoug. Lorsque le contingent français arrive à Milan et tire sur les Suisses de la ville, Schiner fait sonner les trompettes et lever les troupes pour répondre à l’agression et assure de la victoire des Confédérés sur les Français qui étaient fatigués et éparpillés entre différentes positions stratégiques. Si l’armée de campagne comptait au départ près de 60 000 hommes, seulement un peu plus de la moitié était présente à Marignan, une partie était à Pavie pour protéger le Sud. De plus, le duc de Milan, le pape et le roi d’Aragon promettaient aux Suisses 1 200 000 ducats en cas de victoire sur les Français. Les derniers réfractaires ne pouvaient plus se sortir de cette situation et il ne restait plus qu’à combattre.

Une fois revenu au camp, de Trémoille informe le roi de la situation. En attente de nouveaux rapports de situation, tous les mouvements de troupes sont arrêtés. Un peu plus tard, des sapeurs en train d’aménager la plaine pour la rendre praticable pour la cavalerie et les convois font état au commandement d’un nuage de poussière qui avance depuis Milan. François Ier fait réunir le conseil de guerre parmi lequel se trouve Bartolomeo d’Alviano, le chef des renforts vénitiens parti en avant de ces troupes pour coordonner la campagne. Il prend alors son cheval pour retrouver ses troupes et revenir en soutien des Français. Après une nouvelle confirmation par des éclaireurs, le doute est bien levé, les Suisses marchent sur Marignan et les Français doivent protéger leur position face aux guerriers les plus féroces de leur temps.

Face aux 30 000 Français, ce sont un peu plus de 20 000F470a6cfaa 50159152 marignan 1515 Suisses armés de piques de 3 à 5 mètres, d’hallebardes, quelques arquebuses et une dizaine de canons. Dans la précipitation du départ, une grande partie des hommes ne sont pas totalement équipés, sans oublier le fait que comme les hommes se fournissent eux-mêmes, seuls les plus riches peuvent avoir une armure complète et se trouvent au premier rang. Les autres sont peu protégés avec des plastrons de cuirs dans le meilleur des cas. Face à eux, les Français alignent des unités de cavalerie lourdes, les hommes d’armes, des archers montés, une cavalerie légère, des archers et arbalétriers ainsi que des fantassins en grande nombre et enfin une artillerie d’une soixantaine de canons positionnés en hauteur auxquels s’ajoutent 200 pièces d’artillerie légère comme des canons à main.

En début d’après-midi, les deux armées sont face à face. L’avancée rapide des Confédérés n’avait laissé qu’une heure aux Français pour se préparer. L’avant-garde s’étire sur plusieurs kilomètres dans une plaine comprise entre deux rivières et parsemée de canaux d’irrigation. Un terrain peu propice aux manœuvres de cavalerie spécialité des Français qui avait donné son nom à la furia francese. Le cœur de l’armée, nommée la bataille, est sous le commandement du roi et légèrement en retrait et enfin l’arrière-garde, elle aussi étirée et prête à soutenir le reste de l’armée. Pour y répondre, les Suisses se positionnent en trois colonnes de 7 000 à 9 000 hommes qui formaient le célèbre carré suisse avec leurs nombreux rangs de piques à l’image des  phalanges grecque et macédonienne. De plus, ils étaient soutenus par la cavalerie milanaise sur l’aile droite et par des mercenaires volontaires en première ligne au centre.

Vers trois heures, les Suisses chargent les rangs français. Malgré le feu nourri des canons, les traits des arbalètes et les quelques charges de cavaleries lancées, rien ne les arrêtent. Une fois dans les rangs français, ils enfoncent les lignes des lansquenets de l’avant-garde et poussent toujours plus en direction de l’artillerie. En moins d’une heure, les hommes tombent par dizaines aussi bien les Suisses que les lansquenets. Certaines tranchées des champs sont comblées par les corps et les débris des armes. Des étendards et des canons sont mêmes récupérés par les Suisses. Face à la déroute des mercenaires, les commandants français comme Humbercourt et Chabannes peinent à reformer les rangs. Avec cette charge, les Suisses visent une victoire rapide et à mesure que le combat avance, elle était à portée de main. Landsknecht Pike Block in Combat, Early 16th Century in ...

Alerté par les rapports de ses hommes, François Ier avance avec ses cavaliers vers le front et voit le désordre de son armée. Il réussit à ramener les lansquenets en fuite en promettant le tiers du butin si Milan était prise, et couvre le déplacement de son artillerie vers une position plus favorable. À mesure que le temps passe, les hommes continuent de se battre et les morts s’accumulent sur le champ de bataille, les armes tranchent la chair, les hommes sont couverts de sang et les corps s’amoncellent au sol.

Malgré le coucher du soleil, les combats ne cessent qu’à minuit avec la disparition de la lune et qu’il devenait impossible de discerner amis et ennemis. Les trompettes et clairons sonnent et les hommes se retirent, non sans regarder derrière eux en prévision d’une charge ennemie. La plaine était jonchée de corps et d’hommes agonisants. Certains, déboussolés, sont même allés se reposer dans le camp ennemi tellement la confusion était totale. D’autres, fatigués à l’extrême se laissent tomber au côté des morts. La nuit, quant à elle, ne fut pas tranquille car chaque camp se reposait à quelques centaines de mètres l’un de l’autre et à tout moment les combats pouvaient reprendre. Des échanges de tirs d’arquebuses rythment même la nuit. François Ier qui avait combattu aux côtés de ses hommes avait reçu de nombreux coups de lances et d’épées sur son armure. Il resta près de l’artillerie sur son cheval et sans jamais quitter armes et armure.

Pendant la nuit, le roi de France réorganise ses troupes avec ses capitaines. Il fait reformer les rangs de l’avant-garde, ses ingénieurs reconstruisent des palissades et des fossés. Désormais, l’armée était positionnée en arc de cercle pour faciliter un enfermement des Suisses par les ailes. Le centre était renforcé de canons légers et de gens d’armes du roi avec une partie de la bataille en soutien juste derrière l’avant-garde. L’arrière-garde se trouvait en soutien sur l’aile gauche. De leur côté, les Suisses ont opté pour maintenir leur stratégie initiale avec trois colonnes chargeaFrançois I er , armé, lors de la bataille de Marignannt le centre et les ailes composées d’infanterie à gauche et de cavalerie à droite.

À peine le soleil se lève que les Suisses sonnent le retour des hostilités. Fatigués par la veille, les lansquenets du centre sont enfoncés facilement et le soutien des arquebuses, malgré de nombreuses pertes chez les Suisses, n’empêche rien. Sur l’aile droite, la cavalerie subissait aussi des pertes importantes. Le sol n’était pas praticable, les hommes se faisaient désarçonnés et exécutés ensuite. Le comte de Talmont est par exemple transpercé de soixante-douze coups de lances. De chaque côté les hommes tombent ainsi que des capitaines comme Kätzi de Schiwz ou Imhof d’Uri. À huit heures, la victoire n’a jamais était aussi proche pour les Suisses. Les fuyards sont de plus en plus nombreux chez les Français et des rumeurs de défaite se font entendre. Soudain, vers neuf heures, l’espoir renaît chez les Français. Bartolomeo d’Alviano arrive avec 3 000 cavaliers albanais. Aux cris de « France, France, saint Marc, saint Marc », ils chargent les rangs suisses affaiblis par les combats et surpris de ce soutien inattendu. Alviano est accompagné aussi de 15 000 hommes de pieds et en envoie une partie secourir les différents seigneurs en difficulté. Le soutien vénitien était une aubaine pour les Français et les Suisses encerclés s’enfuient de toute part cherchant refuge dans les bois proches, traversant les rivières ou se réfugiant dans les quelques bâtisses environnantes. C’était sans compter sur les Vénitiens qui les pourchassent et le reste de l’armée française débusque les fuyards et les passent au fil de l’épée ou de la lance. Selon les chroniques, près de 4 000 Confédérés ont péri dans cette fuite désordonnée. Pour le reste, la retraite définitive fut sonnée à onze heures.

Conséquences immédiates de Marignan

Une fois les combats terminés, François Ier s’en va ensuite retrouver son camp et sur l’avis de ses conseillers, décide de ne pas poursuivre les Suisses. Il laisse cependant quelques troupes les poursuivre le long des routes vers Milan et les quelques prisonniersOn the night of marignan by albert robida qui sont faits sont envoyés aux galères à Gênes. Après des combats de près de seize heures, le constat des pertes est venu. Sur les 20 000 Suisses présents, 7 000 morts et 5 000 blessés dont une partie meurt peu de temps après des suites de blessures non-traitées lors du retour à Milan. Pour les Français, les pertes sont de 8 000 hommes, comprenant les morts sur le champ de bataille et ceux de leurs blessures ensuite. Lorsque le roi envoya des hommes enterrer les corps et éviter ainsi une propagation des maladies, la tâche fut immense et dura pendant près de trois jours. Les Français perdirent de nombreux commandants durant les combats comme le seigneur d’Humbercourt, Louis de Bourbon, frère du connétable, le seigneur de Meilleraie, porte-enseigne des gentilshommes du roi, Charles de la Trémoille le fils de Louis de la Trémoille qui mourut quelques jours plus tard des suites de ses blessures. Certains seigneurs décédés comme Louis de Bourbon ou Charles de la Trémoille eurent leur corps rapatriés en France et inhumés dans leur domaine. À Marignan, François Ier fait construire une chapelle en l’honneur des hommes tombés. Inaugurée en 1518 elle sera détruite 1577.

Concernant Milan, le gros de l’armée suisse quitte la ville et retourne en Suisse et de son côté Matthieu Schiner part pour Innsbruck chercher le soutien de l’empereur Maximilien de Habsbourg. Dans la ville il ne reste plus que le duc et une petite armée de 3 000 hommes, Suisses et Milanais, pour servir de garnison. Pendant leur conquête du Milanais, les Français avaient été une fois trahis par une cité italienne et en représailles l’avaient incendiée et pillée. Les habitants ne veulent pas subir le même sort et envoient une délégation de notables le 16 septembre vers le roi. Ils lui annoncent l’ouverture de la ville en échange de sa promesse de la préserver du pillage et de garantir la vie du duc. C’est chose faite et Milan devient désormais propriété du roi de France.

Les conséquences géopolitiques et diplomatiques

Après la bataille, François Ier était le maître de fait du duché de Milan mais pas de droit et les alliés du duc était toujours là, notamment le pape. Le roi était descendu ensuite sur Pavie et laisse au connétable de Bourbon le soin d’anéantir les dernières poches de résistance, en particulier celle dirigée par le duc Sforza au château de Milan. Après une dizaine de jours de siège et l’ingénierie du sapeur royal Pedro Navarro, le duc capitule le 1er octobre et le 4, il quitte sa forteresse après avoir négocié avec Charles de Bourbon, qui lui accorde au nom du roi une pension de 36 000 livres annuelles et 94 000 livres payables en deux fois en compensation des pertes de la campagne. Il est quelques jours après accompagné jusqu’en France et installé à la cour à Paris où il vécut jusqu’à sa mort en 1530.

Suite à de longues journées d’entretiens entre François Ier et les ambassadeurs du pape Léon X, le 13 octobre, est ratifié un accord, la paix de Viterbe, dans lequel le pape reconnaît François Ier comme duc de Milan, lui octroie les villes de Parme et de Plaisance et en échange Bologne, ancienne alliée française, se retrouve sous tutelle papale. Des accords commerciaux sont aussi négociés entre Milan et le pape. Les deux souverains s’engagent également à une assistance mutuelle contre les ennemis de l’un et l’autre, notamment contre l’Empire ottoman qui prend de l’ampleur en Méditerranée. François Ier, roi de France, aux pieds du pape Léon X lors de la conclusion du Concordat de Bologne, par Bilivert              

Concernant les Suisses, dès la fin de la campagne de Milan, ils avaient pris la route du nord de la Lombardie pour revenir en Suisse et les discordes entre bellicistes et pacifistes reprennent de plus belle. Matthieu Schiner, depuis Innsbruck, veut retenter une expédition et réinstaurer les Sforza à travers le frère de Maximilien, Francesco. Toutefois, les forces françaises sont elles aussi montées vers le nord et menacent les contreforts suisses des Alpes. Des ambassades sont envoyées vers les Suisses pour faire la paix selon les termes convenus à Gallarate. Un argument renforcé par la paix de Viterbe à la mi-octobre et la légitimité du roi en devenant de droit le duc de Milan. Le 28 octobre à Genève, les représentants des cantons et Charles de Savoie, ambassadeur français, se réunissent pour discuter de la paix. Seuls huit cantons acceptent les termes du roi, les autres comme Uri et Schwyz restent profondément anti-français. En échange de cette paix de Genève signée le 7 novembre, les Suisses offrent leur aide militaire au roi mais ce dernier ne doit pas les utiliser pour combattre le pape, l’empereur ou les autres cantons réfractaires.

Avec cela, les négociations se poursuivent également avec le pape mais cette fois à Bologne où une entrevue a été organisée. Chacun avec une petite armée de suivants, le roi et le pontife se retrouvent dans la cité. S’enchainent alors cérémonies, fêtes, messes et réunions diplomatiques entre le roi et le pape. Le 14 novembre, tout est terminé et une nouvelle alliance est forgée entre les deux hommes. François Ier promet notamment de penser à diriger une croisade contre les Ottomans si un successeur venait à naitre. Par l’intermédiaire du Français Antoine Duprat, le roi et le pape commencent la rédaction d’un concordat entre les deux acteurs qui est finalisé en août 1516, le concordat de Bologne. Celui-ci autorise le roi à nommer les évêques et archevêques de son royaume qui sont ensuite confirmés par le pape et est reconnu comme le « fils aîné de l’Église catholique ».

La contre-offensive de Maximilien Ier

Après la rencontre de Bologne, le roi revient à Milan peu avant Noël. Il y récompense les chefs de son armée comme Charles de Bourbon qui est fait gouverneur et lieutenant général du duché de Milan le 7 janvier 1516. Le même jour il reçoit un serment de fidélité de la part des Milanais. Le 8 janvier, il est sur le retour vers la France et le 13 janvier il est à Sisteron où l’attendent Louise de Savoie et sa femme Claude de France. 

En Italie, la situation se stabilise, les Vénitiens conquièrent les principales cités du Milanais oriental conformément aux accords passés entre le roi et eux. Mais la montée en puissance de François Ier n’était pas du goût de ses voisins, notamment l’empereur Maximilien Ier, et la mort de Ferdinand II d’Aragon laissait le champ libre à François Ier de fondre sur Naples. Avec l’aide des cantons anti-français et de ses chefs comme Matthieu Schiner, l’empereur lève une armée de 30 000 hommes et traverse les Alpes. Les Vénitiens mais aussi les renforts français ne peuvent rien face à cette armée gigantesque. Le roi appelle alors les cantons alliés à l’aide qui envoient 8 000 mercenaires en renfort. Ces derniers tardent à venir et les forces sur place reculent de plus en plus face aux Impériaux jusqu’à se retrouver à Milan. Et lorsque finalement les Suisses sont là, la situation est bloquée car en accord avec le traité de Genève, les cantons signataires refusent de se battre contre d’autres Suisses. En plus de la réticence des Suisses à se combattre entre eux, Maximilien Ier manque de fonds et ses mercenaires ne sont pas payés. Pour éviter le départ des Suisses, Maximilien décide le repli vers les terres impériales sans combattre. Milan a été protégé et la reconquête des terres s’ensuivit.

Avec les cantons, dans la continuité des traités de Gallarate et de Genève, le roi signe avec eux une paix perpétuelle à Fribourg le 29 novembre 1516. Les cantons doivent sur demande du roi envoyer des hommes à la France pour combattre, le pape étant toujours une exception, et en échange le roi verse pour chaque canton une pension de 2 000 livres ainsi qu’un dédommagement de 500 000 livres en souvenir du traité de Dijon de 1513 et de la campagne italienne. Cette paix fut effective jusqu’à la Révolution française.

Conclusion

Ce n’est donc qu’à la fin de l’année 1516 que les hostilités en Italie prennent fin après avoir débuté au début 1515.Le trône et l'autel: Le chevalier Bayard - Pierre du Terrail Sur l’échiquier politique, la France s’est profondément renforcée avec l’acquisition milanaise et l’alliance avec les Suisses et le pape. Ce dernier malgré une perte de certaines de ses terres comme Parme et Plaisance a vu sa position à la tête du monde chrétien réaffirmée. La famille Sforza est profondément affaiblie tout comme l’empereur Maximilien qui voit son image se dégrader avec la perte de cités dans le nord de l’Italie et le repli faute d’argent devant Milan.

Une victoire sur tous les plans pour François Ier qui inaugure son règne avec éclats. En souvenir de la bataille, il fait graver des médailles sur lesquelles il apparait en César. Toute une mécanique de propagande s’orchestre dès la fin de la campagne. En 1518, Léonard de Vinci réalise même une reproduction de la bataille et met en scène le roi victorieux. Tableaux et récits fondent la légende de Marignan. En 1528, Clément Janequin publie La Guerre, un récit glorifiant de la victoire de François Ier. À cela viennent s’ajouter tous les récits issus des chroniques de la bataille comme celle du Loyal Serviteur de son vrai nom Jacques de Mailles. Finalement, un autre atout de la propagande du roi c’est qu’après la bataille, François Ier est adoubé par Bayard. Le roi est fait chevalier et est aussi considéré comme le dernier chevalier français. Marignan en plus d’être la bataille inaugurale de son règne, c’est aussi le point de passage du roi au roi-chevalier.  

Toutefois, cette image du roi victorieux ne dure qu’un temps car dix ans plus tard à Pavie, c’est la défaite qui attend les Français et notamment l’emprisonnement du roi.

 

 

 

Publié par Adrien RASATA le 28 mars 2020

Bibliographie

Ouvrages et articles :

  • Le Fur, Didier. Marignan, 1515. Éditions Perrin, 2015
  • Houdry Philippes & Gilles, La bataille de Marignan en 1515,
  • Sablon du Corail, Amable. 1515, Marignan. Tallandier, 2015
  • Sablon du Corail Amable, « Marignan. Triomphe de l’ordre monarchique sur les libertés médiévales », Commentaire, 2016/4 (Numéro 156), p. 833-842. DOI : 10.3917/comm.156.0833. URL : https://www.cairn.info/revue-commentaire-2016-4-page-833.htm
  • Toussaint, Émilie, Parmentier Romain, La bataille de Marignan, 50 minutes, Bruxelles, 2015

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Crédits image :

1) Bataille de Marignan FRAGONARD Alexandre Evariste (1780 - 1850) © RMN-Grand Palais (Château de Versailles) / Christian Jean / Hervé Lewandowski
2) Jean Clouet, Portrait de François Ier, 1530, Huile sur toile, Musée du Louvre
3) Itinéraire de François Ier jusqu'à Marignan trouvé sur L'Histoire.fr : https://www.lhistoire.fr/portfolio/carte-la-campagne-de-marignan
4) La bataille de Marignan, détail (miniature attribuée au maître de la Ratière, vers 1515, musée Condé, Chantilly), disponible sur : https://www.futura-sciences.com/sciences/questions-reponses/histoire-marignan-1515-importance-cette-bataille-5576/
5) François Ier chargeant les rangs suisses, auteur inconnu, tableau du XVIe siècle. Trouvée dans André Castelot, François Ier, Perrin 1999. Disponible sur : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Francis-1515-Marignano.jpg
6) Carré de fantassins suisses, source inconnue, disponible sur : https://compagniedesardents.wordpress.com/2017/11/19/inspiration-les-mercenaires-de-la-renaissance/
7) Cinquième guerre d'Italie (1515-1516) : la nuit de Marignan (Italie), entre le 13 et le 14 septembre 1515. Illustation, 1909, d'Albert de Robida (1848-1926). Collection Particuliere. Crédits : ©Photo Josse/Leemage/AFP. Disponible sur : https://pixels.com/featured/on-the-night-of-marignan-illustration-albert-robida.html
8) “Rencontre entre le pape Léon X et François Ier au Palazzo Pubblico de Bologne, 11 décembre 1515” par Giovanni Bilivert
9) Louis Ducis, François Ier armé par le chevalier Bayard (1817)

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