1349 - Transport du Dauphiné

Le Dauphiné est une région historique française qui se démarque par son rapport particulier à la montagne, son histoire et sa gastronomie. Regroupant historiquement les terres de ce que sont aujourd’hui les départements de la Drôme, de l’Isère et des Hautes-Alpes, à l’origine, il ne s’agissait pas d’une province française mais impériale. Elle dépendait au départ du Saint Empire romain germanique mais devint française lorsqu’elle est achetée par le roi de France Philippe VI de Valois en 1349 lors du traité de Romans-sur-Isère (Drôme). Voici l’histoire de l’un des plus grands élargissements du royaume de France au Moyen Âge, le « transport » du Dauphiné.

Carte dauphine 1610

Carte du Dauphiné vers 1610

La fin d'une principauté d'Empire

Depuis sa création 1142, le Dauphiné a brillé par sa richesse et sa position idéale au pied des Alpes et l’utilisation du Rhône pour le transport et le commerce. Il servait aussi de rempart pour le Saint Empire, dont il dépendait, avec le royaume de France. Ce dernier convoitait à ce titre la principauté, à la fois pour sa richesse, mais aussi pour étendre ses terres. Philippe IV le Bel eut à ce titre plusieurs petits conflits avec des Dauphinois Humbert iipour affirmer son autorité, notamment sur des questions d’hommage ou à faire payer des amendes. La diplomatie française s’est même déplacée vers une politique matrimoniale en mariant la fille de Philippe V le Long, Isabelle de France, au dauphin Guigues VIII de la Tour du Pin en 1323.

Pour le Dauphiné, le début du XIVe siècle est marqué par une instabilité croissante due en grande partie au train de vie du dauphin Humbert II (1312 – 1355) (portrait ci-contre). Comme de nombreux seigneurs depuis le XIIIe siècle, son rythme de vie est de plus en plus dispendieux et multiplie les opérations coûteuses. Il vit dans le luxe et participe même à la croisade organisée par le pape Clément VI en 1345-1346 pour reprendre la cité de Smyrne en Anatolie (actuelle ville d’Izmir en Turquie). Malgré certains succès, le dauphin rentre de l’expédition en 1347 ruiné.

D’autre part, la dynastie des dauphins du Viennois est en pleine crise de succession après la mort du fils d’Humbert II, André, à seulement deux ans en 1335. À cela vient s’ajouter la mort de sa femme alors qu’il était en croisade en 1347. Sans enfant et après avoir perdu son épouse, il n’a pas d’autre choix que d’envisager la vente d’une partie de sa principauté pour remplir ses coffres.

Le temps des négociations

483px robert fleury philip vi of franceIl se tourne d’abord vers les rois angevins de Naples, qui sont aussi comtes de Provence, en 1337 puis vers le pape entre 1338 et 1342 qui refusent tous les deux. L’offre d’Humbert II, environ 150 000 florins et une rente annuelle de 3 000, parait trop chère pour ces seigneurs, d’autant plus que les revenus potentiels de la principauté ne sont pas attractifs.

C’est finalement auprès du roi de France que les négociations se tournent. Depuis le début des années 1340, notamment sur initiatives du pape Clément VI, ancien conseiller du roi Philippe VI (portrait ci-contre), le roi et Humbert II se retrouvent plusieurs fois à partir de 1343 pour organiser la vente du Dauphiné. En 1343, Humbert II convenait déjà que le Dauphiné reviendrait à la France mais avec une spécificité, il ne serait pas donné au roi mais au duc de Normandie, son petit-fils Charles, futur Charles V. De plus, en 1344, un nouvel accord permet à ce dernier de reprendre le titre de Dauphin, d’abord de Viennois puis de France à partir du XVe siècle lorsque le Dauphiné devient la propriété exclusive du prince héritier et une propriété héréditaire.

Le « transport » du Dauphiné

C’est finalement le 30 mars 1349 que la vente du Dauphiné est entérinée par un traité signé à Romans-sur-Isère avec des représentants de chaque parti. Le prix d’achat est fixé à 200 000 florins avec une rente annuelle pour Humbert II de 4 000 florins. Le 16 juillet, la passation de pouvoir entre Humbert II et Charles de Normandie a ensuite lieu à Lyon. Les insignes delphinales (sceptre, bannière, anneau et épée) sont données à Charles ainsi que tous les titres du dauphin. Après la vente, Humbert II se retire dans la foi en devenant un frère dominicain dans un couvent vers Avignon.

Malgré cette vente, Humbert II parvient à maintenir certains droits, franchises et privilèges de sa principauté auprès de la couronne de France. En effet, le Dauphiné obtenait des avantages fiscaux en ne payant pas par exemple la gabelle, l’impôt sur le sel. De plus, les États du Dauphiné, une assemblée regroupant des clercs, nobles et membres du tiers états de la province, était chargée de voter l’impôt et certaines grandes décisions de gouvernement. Enfin, en 1453, le dauphin Louis II, futur Louis XI, crée à partir du Conseil delphinal institué par Humbert II en 1337, le parlement du Dauphiné à Grenoble. Dès lors, la province possédait sa propre cour supérieure de justice, capable de prendre en appel les affaires judiciaires, lui donnant ainsi une certaine autonomie vis-à-vis de Paris. De même, le parlement a, au départ et c’est de moins en moins le cas à partir du XVIe siècle, le droit de refuser d’enregistrer et donc d’appliquer, des lois promulguées par le roi de France. Le parlement est en effet le protecteur des libertés delphinales et peut s’opposer au roi, comme ce fut le cas face à François Ier en 1539 lors de la publication de l’ordonnance de Villers-Cotterêts.

Parlement du dauphine a grenoble

Façade du parlement de Grenoble depuis la place du tribunal de nos jours

Ces différents privilèges constituent le Statut delphinal qui regroupe tous les droits des Dauphinois. Cette autonomie est l’une des raisons pour lesquels la vente de la principauté est plus souvent appelée « transport » et non pas transfert car elle garde ce caractère indépendant vis-à-vis de l’autorité royale en restant propriété du prince héritier. Tant et si bien qu’au XVIIe siècle, Louis XIII décide de supprimer les États du Dauphiné en 1628 pour y installer intendant censé gouverner au nom du roi.

Statuta delphinalia 1619 titre

Exemplaire du Statut delphinal (1619), imprimé par Pierre Charvys

Après le transport, le Dauphiné s’est de plus en plus intégré au royaume de France en fournissant notamment des hommes pendant les campagnes de la guerre de Cent Ans mais aussi en défendant la frontière avec le comté puis duché de Savoie, notamment lors de la bataille d’Anthon en 1430. Durant les guerres d’Italie, la province est une étape importante de l’itinéraire du roi de France et agit aussi comme province frontalière en se peuplant de plusieurs forts qui sont ensuite organisés en véritable réseau fortifié sous l’entreprise de l’ingénieur du roi Louis XIV, Vauban, au XVIIe siècle. Le Dauphiné a également maintenu un profond attachement culturel à son histoire, notamment autour de Grenoble, la capitale des Alpes, avec des héros locaux comme le chevalier Pierre du Terrail, plus connu sous le nom de Bayard, ou le connétable Lesdiguières au XVIIe siècle, sans oublier le rapport bien particulier à la montagne qui perdure encore aujourd’hui.

 

Publié par Adrien RASATA, le 15/01/2023

Sources

Articles internet :

Articles Wikipédia

Crédits images :

  1. Carte et description générale de Dauphiné, avec les Confins des Pais et Provinces voisines. Le tout racourcy et réduict par Jean de Beins ingénieur et géographe du Roy (Bibliothèque municipale de Grenoble, cote Cd.13) Disponible sur : http://www.academiedelphinale.com/histoire-dauphine/8-l-histoire-du-dauphine
  2. Portrait d’Humbert II par un auteur inconnu du XVIIe siècle. Wikimédia commons. Disponible sur : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Dauphin_Humbert_II.jpg
  3. Portrait de Philippe VI de Valois par Robert Fleury. Wikimédia Commons. Disponible sur : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Robert-Fleury_-_Philip_VI_of_France.jpg
  4. Photographie de la façade du parlement de Grenoble aujourd’hui. © Jean-Paul Corlin Disponible sur : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Parlement_du_Dauphin%C3%A9_%C3%A0_Grenoble.jpg
  5. Page de titre du Statut delphinal imprimé en 1619 par Pierre Charvys. Disponible sur : https://bibliotheque-dauphinoise.blogspot.com/2009/09/statuta-delphinalia-ou-un-exemplaire.html
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