D'Artagnan, Charles de Batz de Castelmore

Si les Trois Mousquetaires font partie des classiques de la littérature française, c’est avant tout grâce au talent de leur auteur, Alexandre Dumas et de personnes aux destins trépidents et hors du commun. Atos, Portos et Aramis multiplient les missions à hauts risques au service de leur roi et sillonnent la France, mais derrière ces légendes, se cache aussi une histoire vraie, celle de Charles de Batz de Castelmore, aussi connu sous le nom de d’Artagnan. Au-delà du mythe, d’Artagnan est un homme qui a su inscrire son nom dans l’histoire du XVIIe siècle auprès de Louis XIV et des fameux mousquetaires. Voici l’histoire d’un héros pourvu d’une cape, d’une épée, d’une casque bleue et d’un beau panache blanc.

Gravure apocryphe représentant d'Artagnan par Pierre Marteau (1701-1702)

Charles de Batz de Castelmore, dit d’Artagnan, est né vers 1611-1615 en Gascogne, à proximité de la ville de Lupiac, au sein d’une famille de la petite noblesse. Issus d’une ancienne famille bourgeoise, les Batz de Castlemore obtiennent leur titre de noblesse au XVIe siècle et par conséquent transforment leur mode de vie pour correspondre à leur nouveau statut. Charles est le quatrième fils d’une famille de sept enfants et bien qu’il ne soit pas destiné à succéder à son père, il obtient une éducation aux armes et aux lettres digne d'un fils de nobles. Lorsqu’il est en âge de choisir lui-même son destin, il prend la route de Paris pour devenir soldat du roi et intégrer les mousquetaires en 1630. Au XVIIe siècle, la Gascogne est une terre pauvre et pour les jeunes déshérités, le métier des armes est une porte de sortie et un univers de possibles. Il y rejoint d'ailleurs l'un de ses frères, Paul. Plus tard, un autre d'Artagnan rejoindra les rangs de l'armée, Pierre de Montesquiou d'Artagnan, futur maréchal de France à la fin du règne de Louis XIV. 

Pour intégrer les mousquetaires, d’Artagnan doit appartenir à la noblesse ancienne, conformément aux règles établies par Louis XIII et le cardinal Richelieu lors de la création de cette troupe en 1622. Malheureusement pour Charles, les Batz de Castlemore sont une noblesse récente. Il peut cependant compter sur la famille de sa mère, les Monstesquiou d’Artagnan, dont l'ancienneté et la renommée correspondent à ces attentes et dont certains des membres occupent déjà des postes à l’armée. Notre Gascon devient donc Charles Montesquiou d’Artagnan et obtient le soutien d’une partie du réseau familial et de mécènes parisiens, tel que le comte de Tréville Jean Armand du Peyrer alors capitaine-lieutenant de la compagnie des Mousquetaires du Roi.

Jean-Armand du Peyrer, comte de Tréville

Une fois à Paris, Charles d’Artagnan parvient à intégrer en 1633 l’armée du roi au sein des cadets des Gardes françaises, un régiment en charge de la protection du souverain et de la police dans la capitale. À partir de 1640, il fait ses premiers pas sur le champ de bataille avec la bataille d’Arras. Quatre ans plus tard, il entre finalement chez les mousquetaires et finit même par devenir capitaine des Gardes françaises de la Maison du roi.

Lorsque les mousquetaires sont dissous en 1646, d’Artagnan se met au service du cardinal Mazarin et devient son agent de liaison et de renseignement durant la Fronde (1648 – 1653). Lorsque le cardinal est contraint à la fuite par les frondeurs, d’Artagnan l’accompagne. Une fois Mazarin rétablit dans ses fonctions, il offre à son fidèle soldat le poste de lieutenant des gardes du roi Louis XIV. En 1654, il fait notamment partie de l’escorte du souverain jusqu’à Reims où il est sacré.

En 1657, Louis XIV reforme le corps des mousquetaires et fait de d’Artagnan le sous-lieutenant des 150 hommes que compte la compagnie. Il est le second dans la chaîne de commandement mais commande officieusement lorsque le capitaine-lieutenant, le duc de Nevers Philippe Julien Mancini, également neveu du cardinal, s’en désintéresse complètement. Finalement, il est fait capitaine en 1659 au sein de la compagnie des Mousquetaires Gris, en lien à la robe de leurs chevaux, ou « Grands mousquetaires ».

Également amateur de lettres et des salons mondains, d’Artagnan rencontre dans l’un d’eux Anne Charlotte de Chanlecy, une veuve fortunée venue de Bourgogne. En 1659, avec le parrainage de Louis XIV, le mousquetaire épouse Anne Charlotte. De ce mariage naissent deux fils en 1660 et 1661. Malheureusement, les missions à travers le royaume de d’Artagnan déplaisent à son épouse qui finit par demander la séparation de biens et de corps, l’équivalent d’un divorce à notre époque, qui est signée par le roi en 1665.

Toujours responsable du roi, la compagnie le suit partout, notamment en 1660 lors du mariage entre ce dernier et la princesse espagnole Marie-Thérèse d’Autriche à Saint-Jean-de-Luz à la frontière franco-espagnole. Pendant un an, le roi traverse son royaume et se fait voir par ses sujets et logent dans les plus beaux châteaux.

De plus en plus proche du roi, d’Artagnan reçoit les plus importantes missions. En 1661, il est chargé de l’arrestation de Nicolas Fouquet, alors surintendant des Finances (représenté dans la gravure ci-contre). Ce dernier est tombé en disgrâce à cause de sa mainmise trop forte sur l’appareil administratif français et par son enrichissement personnel dont le château de Vaulx-le-Vicomte témoigne par son rafinement et la richesse et rivalise avec ceux de Louis XIV. Une fois arrêté, d’Artagnan est également nommé comme geôlier de Fouquet. Il l'accompagne dans ses pérégrinations entre ses différents lieux de détention : le château d’Angers, la Bastille (1663) puis enfin Pignerol en 1664. Le mousquetaire surveille le ministre pendant trois ans et, selon la légende, se serait lié d’amitié avec son détenu. Les conditions d’emprisonnement sont même arrivées jusqu’à la cour où il est dit que d’Artagnan est le meilleur geôlier qu’un criminel de haut rang puisse espérer. Au moment de l’arrestation du comte de Lauzun en 1671 l'expérience se réitère.

Durant la guerre de Dévolution (1667 – 1668), d’Artagnan participe à la conquête de places fortes dans le nord de la France et en Belgique, alors possessions espagnoles, comme les villes de Tournai, Douai ou Lille (cette dernière tombe grâce aux escadrons de cavalerie des mousquetaires commandés par d’Artagnan). En 1668, il participe avec le Grand Condé, cousin du roi et grand chef militaire de l’époque, à la prise de Besançon. Il est ensuite envoyé réprimer la révolte du Vivarais en 1670, dont la population s’était rebellée contre l’autorité du roi et avait tué les administrateurs locaux.

En 1672, il est nommé maréchal de camp, il est donc responsable de l’organisation du camp d’une armée et du positionnement des troupes sur le champ de bataille. Malgré cette promotion, il est envoyé en tant que gouverneur dans la ville-forteresse de Lille afin de remplacer temporairement le maréchal d’Humières. Le séjour se passe plutôt mal car il se heurte à la fois aux ingénieurs du maréchal de Vauban, grand architecte du système de défense des frontières françaises, et dont les conflits d’autorité sont fréquents, et à la population pour qui il ne représente qu’un nouvel agent du pouvoir de Louis XIV. Finalement en décembre 1672, il est rappelé à Paris après le retour du maréchal d’Humières.

En 1673, la France est engagée dans la guerre de Hollande (1672 - 1678). Le capitaine des mousquetaires est envoyé au siège de la cité de Maastricht, l’une des places fortes des Provinces-Unies. Le siège est sanglant et plusieurs vagues d’assaut françaises meurent sous les balles des mousquets et boulets des canons des défenseurs. Le 25 juin, alors qu’une sortie des défenseurs est signalée, d’Artagnan et une poignée d’hommes se portent à l’affrontement. Courant à découvert, le mousquetaire est touché par une balle à la gorge et s’écroule sur le champ de bataille. Au prix de nouvelles pertes, son corps est ramené par ses hommes jusqu’au camp français où il est découvert par le reste de sa troupe et le roi. Le soir même, Louis XIV fait célébrer un éloge funèbre pour le héros qui l’a soutenu pendant de nombreuses années et qui était son fidèle capitaine. L’année suivante, en hommage au mousquetaire, le roi et la reine deviennent les parrain et marraine du fils aîné de d’Artagnan et le Grand Dauphin et sa femme ceux du fils cadet.

Énigmatique dans la naissance, d’Artagnan l’est aussi dans la mort. Sa sépulture n’est en effet pas précisée dans la correspondance de Louis XIV. Il n’est pas dit s’il fut enterré à proximité de Maastricht, dans la ville une fois prise, ou en France. Plusieurs hypothèses coexistent mais aucune n’est vérifiée ni vérifiable.

L’analyse de la correspondance du roi témoigne de la grande sympathie de ce dernier envers d’Artagnan à qui il a donné toute sa confiance et qui lui « était bon à tout ». Un mousquetaire aurait même dit « on a de la peine à trouver meilleur français, meilleur des hommes, le plus intègre, le plus généreux, le plus fidèle, le plus cher des amis ; il était presque le seul qui eût trouvé le moyen de se faire aimer des gens en ne faisant pas des choix extrêmement obligeantes pour eux ».

Ces nombreux exploits ont suscité l’admiration de l’écrivain Gatien de Courtilz de Sandras qui a écrit les mémoires apocryphes du mousquetaires lors de son séjour à la Bastille entre 1693 et 1699. Il se serait appuyé sur le témoignage de François de Montlezun, seigneur de Besmaux, directeur de la Bastille et ancien camarade de d’Artagnan qu’il a rencontré lors de ses années de cadets chez les Gardes françaises. C’est sur ce récit très romancé, publié en 1700, que s’inspire le romancier Alexandre Dumas pour écrire sa célèbre histoire des Trois Mousquetaires en 1844.

Bien que le personnage soit connu à son époque, il n’existe pas de portrait du mousquetaire. Seul existe celui présent sur la gravure imaginée dans l’œuvre de Courtilz de Sandras (voir image d'introduction). Malgré tout, son effigie a la source de nombreuses œuvres artistiques comme des statues dont celles présentes à Paris, place du Général-Catroux (ci-dessous) et à Maastricht, mais aussi des expositions, des pièces de théâtres ou des films, dont le dernier, Les 3 Mousquetaires (2023) n’est qu’un nouvel exemple.

Statue de d'Artagnan reposant au pied de celle d'Alexandre Dumas par Gustave Doré (XIXe siècle)

L'histoire de d'Artagnan est aussi une fierté locale. Dans sa ville natale de Lupiac, un festival en l'honneur du mousquetaire a lieu chaque année.

Publié par Adrien RASATA le 07/05/2023

Articles internet :

• Municipality of Lupiac (Gers, France), birthplace of d’Artagnan (www.lupiac.fr). (s. d.). Discover d’Artagnan, born in Lupiac around 1613. Copyright 2023 - Municipality of Lupiac. [en ligne] Consulté le 7 mai 2023, à l’adresse https://www.lupiac.fr/dartagnan#dartagnan-histoire

• Le vrai d’Artagnan - Mousquetaires ! (2014). Musée de l’armée Invalides. [en ligne] Consulté le 7 mai 2023, à l’adresse https://www.musee-armee.fr/ExpoMousquetaires/le-vrai-d-artagnan.html

• Bourquin, J. (2023, 3 avril). Qui étaient vraiment d’Artagnan et « les trois mousquetaires » qui ont inspiré Dumas ? France Inter. [en ligne] Consulté le 7 mai 2023, à l’adresse https://www.radiofrance.fr/franceinter/qui-etaient-vraiment-d-artagnan-et-les-trois-mousquetaires-qui-ont-inspire-dumas-1111125

• La Brinvilliers (2023). D’Artagnan, le véritable mousquetaire du Roi. Histoire pour tous. [en ligne] Consulté le 7 mai 2023, à l’adresse https://www.histoire-pour-tous.fr/histoire-de-france/5532-d-artagnan-mousquetaire-du-roi.html

• Contributeurs aux projets Wikimedia. (2023d). D’Artagnan. fr.wikipedia.org. [en ligne] Consulté le 7 mai 2023, à l’adresse https://fr.wikipedia.org/wiki/D’Artagnan

Documentaires :

Augustin Viatte, La Véritable Histoire de d’Artagnan (2020)

Secrets d’Histoire, D’Artagnan, le mousquetaire du Roi-Soleil (2023)

Vidéos Youtube :

• Comment Alexandre Dumas a écrit « les Trois Mousquetaires », par la chaîne France Culture, mise en ligne le 3 avril 2023 [en ligne] [visionnée le 07/05/2023] Disponible sur : https://youtu.be/o53cy136jTs
• D’ARTAGNAN et les 3 MOUSQUETAIRES ont-ils vraiment existé ?, par la chaîne HERODOC La Chaîne Histoire, mise en ligne le 16 avril 2023 [en ligne] [visionnée le 07/05/2023) Disponible sur : https://youtu.be/oDe3vLDmtNI
• Les 3 mousquetaires : ont-ils vraiment existé ?, par la chaîne Jamy – Epicurieux, mise en ligne le 16 avril 2023 [en ligne] [visionnée le 07/05/2023] Disponible sur : https://youtu.be/0gR6X5izsOM  
• Profil historique : D’Artagnan (Histoire), par la chaîne La Minute d’Histoire et Mythologie, mise en ligne le 5 juillet 2020 [en ligne] [visionnée le 07/05/2023] Disponible sur : https://youtu.be/b7HR4Q3DF1A

Crédits images :

1. Gravure représentant d’Artagnan par Pierre Marteau (1701-1702). Licence Wikicommons. Disponible sur : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:D’Artagnan_-_1704.png
2. Mousquetaires en casque bleue par ©Pierre Courcelle. Disponible sur : https://www.planetfigure.com/threads/french-musketeer-from-altores-studio.191920/
3. Portrait de Jean-Armand du Peyrer, comte de Tréville, par les frères Le Nain (1644). Licence Wikicommons. Disponible sur : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Jean-Arnaud_de_Peyrer,_comte_de_Tréville,_by_Le_Nain.jpg
4. Mousquetaires escortant le roi dans son carrosse (source inconnue). Disponible sur : https://www.pinterest.co.uk/pin/326370304229219916/
5. "L'arrestation de Nicolas Fouquet à Nantes, en 1661" (1615-1680) par Charles de Batz-Castelmore, comte d'Artagnan (1611-1673) ©The Holbarn Archive/Leemage©Leemage
6. Mort de d’Artagnan au siège de Maastricht. ©Gettyimages. Disponible sur : https://www.gettyimages.fr/detail/photo-d%27actualit%C3%A9/death-of-dartagnan-during-the-siege-of-maastricht-photo-dactualit%C3%A9/959146490
7. Première de couverture du roman Les Trois Mousquetaires d’Alexandre Dumas. ©Collection Les Classiques Pocket. 2009. Disponible sur : https://www.chapitre.com/BOOK/dumas-alexandre/les-trois-mousquetaires,23668346.aspx
8. Statue de d’Artagnan par Gustave Doré sur la place Général-Gatroux (XIXe siècle). Licence Wikicommons. Disponible sur : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:D%27Artagnan_statue_Dumas_Gustave_Doré.jpg?uselang=fr