Biographie Boudicca

La légende de Boudicca (ou Boadicée, voire Boadicea dans sa forme latine, dont le nom signifie "Victorieuse") nous est parvenue uniquement grâce aux récits des historiens Tacite (58 – 120) et Dion Cassius (v155 – ap 235), soit plusieurs décennies après les événements. Malgré les incertitudes, due en particulier à un manque de sources littéraires et archéologiques, Boudicca est un personnage historique qui a existé et dont on se souvient comme la reine rebelle d’Angleterre, voire la Vercingétorix anglaise.

Elle serait née aux alentours de 30 ap J.-C., au sein de la tribu des Icénis/Icènes, en Est-Anglie, dans l’actuel Norfolk. Elle assiste à la conquête de la Grande-Bretagne par les légions romaines de l’empereur Claude en 43. En quelques années, les Romains occupent tout le sud de l'Angleterre, avec une frontière qui s'étend de Lincoln à Exeter. Les Icénis deviennent un allié de Rome, comme de nombreuses tribus gauloises durant les campagnes de Jules César. Malgré ce statut, les relations entre Icénis et Romains sont tendus. Ces derniers installent une colonie à Camulodunum, aujourd’hui Colchester, où se rassemblent les vétérans de l’armée romaine. Les administrateurs divisent ensuite la terre pour la donner aux Romains, spoliant ainsi les Icénis de leurs terres. De plus, les élites locales sont dépossédées de tout pouvoir par les Romains et les Icénis sont accablés d’impôts, notamment pour rembourser les créanciers des campagnes de Claude comme Sénèque. L'argent récoltée sert ensuite à la construction du temple de l'empereur Claude. Enfin, le peuple est désarmé, signe manifeste de la domination étrangère.

Boudicca devient la reine des Icénis lorsqu’elle épouse Prasutagos/Prasutagus, devenu roi peu de temps après la conquête romaine. Mais il meurt en 60. Dans son testament, il lègue le pouvoir à ses deux filles et à l’empereur Néron, afin de montrer l’allégeance des Icénis pour l’occupant. Si les Celtes reconnaissent le pouvoir des femmes, les Romains n’acceptent pas qu’un héritage puisse être transmis à une femme, notamment du point de vue de la loi romaine. Ils prennent pour prétexte que l’empereur est présent sur le testament pour enlever aux filles de Boudicca tout droit de succession. Une délégation est même envoyée dans la tribu des Icénis. Pour montrer la suprématie romaine, elle fait fouetter Boudicca en place publique lorsque celle-ci a protesté. Selon la légende, ses deux filles sont même violées devant ces yeux. Humiliée, elle fait le serment de se venger et de tuer l’envahisseur romain.  

Boudicca haranguant les hommes pour la révolte

Grande oratrice, charismatique, druidesse, Boudicca parvient rassembler dans sa vendetta de nombreuses tribus voisines, en particulier les Trinovantes, voisins directs. Sa première cible est Camulodunum, le symbole de la domination romaine dans la région. Avec une armée de 120 000 guerriers (selon les historiens romains), elle fond sur la colonie qui n'offre pratiquement pas de résistance, hormis 200 miliciens envoyés de Londres en renfort. Le temple et une statue de l’empereur Claude sont détruits. La statue est décapitée et la tête jetée dans un fleuve en guise d’offrande pour les dieux celtes. Cette dernière est finalement retrouvée en 1907, on suppose que c'est elle. Elle est aujourd'hui exposée au British Museum de Londres. La population est décimée, hommes, femmes et enfants, et il ne reste plus qu’un amas de cendres.

Pour s’opposer à Boudicca, Rome peut compter sur la présence de quatre légions : la IIe, la IXe, la XIVe et la XXe légion, sous le commandement du gouverneur Suetonius Paulinus (statue à droite). Alors que la IXe légion est mise en déroute près de Camulodunum, Paulinus était occupé à mater les habitants de l’île de Mona (Anglesey), au Pays de Galles, avec la XIVe, il ne peut empêcher la destruction de Camulodunum. Lorsqu’il l’apprend, il se rend à Londres, capitale de la province romaine de Britannia, avec 3 000 cavaliers, l'avant-garde de son armée, laissant à 7 000 légionnaires le rejoindre à pieds. Affirmant que la cité n’est pas défendable avec les forces qu’il possède, il prend la route du nord et rejoint le reste de son armée. Boudicca profite du départ du gouverneur et attaque Londres qui subit le même sort que Camulodunum. Elle prend ensuite en chasse Paulinus et en profite pour raser Verulamium, la troisième cité qui permettait le contrôle de la province.

L’armée rebelle comptait à présent près de 250 000 guerriers, à la fois des hommes rompus au combat et des paysans armés de faux et de piques. Malgré son aspect hétérogène, elle fait près de 70 000 victimes parmi la population romaine. Elle a rasé les centres politiques, administratifs et économiques de la province. Même si l'histoire de Boudicca reste sujette à caution, les recherches archéologiques dans les trois villes montrent une couche importante de cendres dont la datation fait remonter au milieu du Ier siècle de notre ère.

Le lieu exact de la bataille reste inconnu. Selon les Romains, il se situe à Watling Street, près de Mancetter, ou Saint-Albans, dans les Midlands. Face à Boudicca, les légions romaines comptent 10 000 hommes. Bien que quatre légions soient présentes en Bretagne, le commandant de la IIe légion fait le choix d'ignorer Paulinus et la IXe légion a été défaite alors qu'elle se dirigeait vers Camulodunum.

Paulinus est le premier sur le champ de bataille. Il positionne ses troupes sur une petite hauteur, légionnaires au centre et cavaliers sur les flancs. Le champ de bataille est délimité à droite et à gauche par la forêt. L'ensemble crée un entonnoir en direction des Romains. Boudicca compte utiliser l’avantage du nombre ainsi que l’emploi de chars de guerre. Pour montrer sa détermination, elle fait placer des wagons, où se trouvent les provisions et les familles des guerriers, en arc de cercle derrière ses hommes pour bloquer tout échappatoire et permettre aux familles d'assister au combat. Perchée sur un char, la reine icénie invoque une dernière fois les dieux et harangue ses troupes:

" Je descends de grands et puissants hommes ! Mais je ne me bats pas pour mon royaume et mes richesses. Je me bats comme une personne ordinaire qui a perdu sa liberté, a un corps roué de coups, des filles humiliées. Je vois combien d'entre vous se battent, mais pourquoi ? Vous serez vainqueurs aujourd'hui ou vous périrez ! C'est ce que moi, une femme, ferai ! Laissez les hommes vivre en esclaves s'ils le souhaitent. "

En face, Paulinus parle lui aussi à ses troupes. Il moque l'allure de l'armée adverse face aux professionnels romains. Une fois les discours terminés, Boudicca lance l'assaut.

Avec les chars, Boudicca charge et envoyer plusieurs vagues de flèches sur les légions, mais sans trop de dommages. Elle envoie ensuite le reste de son armée, sans aucune formation préalable. Les Celtes sont ralentis par la présence des bois et ne peuvent pas utiliser entièrement l'avantage du nombre. Ils sont d'ailleurs accueillis par une pluie de javelots alors qu'ils touchaient au but. Elle faut de nombreuses victimes car la plupart des Celtes ne portaient qu'une simple tunique, voire rien du tout, comme armure. Une deuxième volée vient neutraliser l’avant-garde celte. Paulinus ordonne ensuite à ses légions d’avancer et massacre méthodique les rebelles dont la majorité ne sait pas se battre. Les légionnaires repoussent toujours plus loin les Celtes. Malheureusement pour ces derniers, en se repliant, ils sont bloqués par les wagons. Les guerriers et leur famille sont massacrés. En moins d’une heure, les Romains font 80 000 victimes pour seulement 400 morts de leur côté et autant de blessés. L’armée de Boudicca est anéantie et la cheffe icénie meurt lors des combats, soit à cause d’une blessure soit elle se serait suicidée avec ses filles pour ne pas tomber aux mains de ses ennemis après avoir échappé à la tuerie. Avec sa mort, la révolte prend fin.

Pour commémorer sa victoire sur les rebelles, Paulinus fait renommer les légions romaines victorieuses. La XIVe légion appelée avant Gemina devient Martia Victrix, et la XXe prend le nom de Victrix.

Malgré sa défaite, Boudicca est entrée dans l’histoire comme une héroïne des peuples autochtones britanniques face à l’impérialisme romain. Elle fait ainsi partie des légendes barbares comme Vercingétorix en France et Arminius en Allemagne.

Au XVIe siècle, elle intègre, plusieurs siècles avant ses homologues masculins, le folklore national et le récit de la construction anglaise. La reine Elisabeth Ire y voit en effet une figure locale face aux prétentions extérieures. À l’époque victorienne, Boudicca devient un mythe national qui célèbre la culture britannique et obtient le surnom de la "Vercingétorix anglaise". En 1885, le sculpteur Thomas Thornycroft réalise une statue de la reine icénie, debout sur un char tiré par deux chevaux et en présence de ses filles (voir ci-dessous). La statue est toujours visible près du pont de Westminster à Londres. Elle est aussi présente dans de nombreux romans historiques et dans la culture populaire comme dans le jeu vidéo Ryse : Son of Rome (2013) où elle devient l’antagoniste qui menace l’empire de Rome, ainsi que dans les jeux Civilization, Total War et Rise of Kingdom (jeu mobile), où dans des films (Boudicca, 2003).                      

©Carole Raddato

Son nom se retrouve également sur des navires de la Royal Navy entre le XVIIIe et le XXe siècle et l’image de la reine guerrière a inspiré des opérations commandos durant la Seconde Guerre mondiale : opérations Chariot et Deadstick. Pour cette dernière, les soldats anglais se faisaient appeler « Les gars de Boudicca ».

Au-delà de la relation entre autochtones et Romains, Boudicca incarne aussi l’histoire d’une femme guerrière en quête de vengeance. Dans une société qui donnait du poids à certaines femmes, elle a rassemblé tout un peuple pour une mission commune. Selon les historiens, romains et actuels, si Boudicca n’avait pas perdu contre Paulinus, la province de Britannia serait tombée et elle aurait pu régner sur toute l’Angleterre. Après cette défaite, Paulinus pacifie la Bretagne, notamment en soumettant une bonne fois pour toute les Icénis. Elle reste sous la domination romaine pendant 350 ans, jusqu’à l’évacuation des légions en 410 pour protéger le continent des barbares venus du nord et de l’est.

Publié par Adrien RASATA le 05/12/2021

Ouvrage :

• VOISIN Jean-Louis, « Boudicca, la Vercingétorix anglaise », L’Histoire, n°329, 2008, pp 60-65. Disponible sur : https://www.lhistoire.fr/boudicca-la-vercing%C3%A9torix-anglaise

Articles internet :

• Biographie de Boudicca, reine guerrière celtique britannique. (2019). Greenlane. [en ligne] Consulté le 29 novembre 2021, à l’adresse https://www.greelane.com/fr/sciences-humaines/histoire-et-culture/boudicca-boadicea-biography-3528571/

• Donsbach, M. (2019, 13 février). Boudica : Celtic War Queen Who Challenged Rome. HistoryNet. [en ligne] Tiré d’un article de Military History (2004) Consulté le 29 novembre 2021, à l’adresse https://www.historynet.com/boudica-celtic-war-queen-who-challenged-rome.htm
• Forsyth S., (2021, 1 novembre). Boudicca - Reine guerrière des Iceni. Alliances celtiques. [en ligne] Consulté le 27 novembre 2021, à l’adresse https://www.celtic-weddingrings.com/fr/celtic-history/boudicca-warrior-queen-of-the-iceni
• Johnson B. (2018, 29 mai). Queen Boudica (Boadicea) of the Iceni. Historic UK. [en ligne] Consulté le 27 novembre 2021, à l’adresse https://www.historic-uk.com/HistoryUK/HistoryofEngland/Boudica/
• Mark, J. J. (2013, November 08). Boudicca. World History Encyclopedia.[en ligne] Consulté le 29/11/2021. Disponible sur : https://www.worldhistory.org/Boudicca/
• Pruitt S., (2019, 7 mars). Who Was Boudica? HISTORY. [en ligne] Consulté le 27 novembre 2021, à l’adresse https://www.history.com/news/who-was-boudica

Vidéos YouTube :

• Barbarians Rising : Boudica, Warrior Queen| History par la chaîne History, mise en ligne le 22 juin 2016 [en ligne] [visionnée le 29/11/2021] Disponible sur : https://youtu.be/9G01vm9MVa4
• Boudicca – Gentes Dames Badass  #1 par la chaîne La Prof, mise en ligne le 14 juillet 20217 [en ligne] [visionnée le 29/11/2021] Disponible sur : https://youtu.be/geGD57T7qO4
• Boudicca La Reine Guerrière par la chaîne Istoerioù Breizh, mise en ligne le 29 décembre 2019 [en ligne] [visionnée le 05/12/2021] Disponible sur : https://youtu.be/PzOxIiKVZ2c
• Watling Street 60 AD – Boudica’s Revolt DOCUMENTARY par la chaîne Kings & Generals, mise en ligne le 6 juin 2019 [en ligne] [visionnée le 29/11/2021]. Disponible sur : https://youtu.be/5xxUc3T1_As

Crédits images :

1) Représentation de Boudicca. Auteur inconnu. Disponible sur : http://factfile.org/10-facts-about-boudicca
2) Carte de l'Est-Anglie avec localisation des terres des Icénis et Trinovantes et Camulodunum. Auteur inconnu. Disponible sur : http://voyagesenduo.com/italie/rome_antique_bretagne.html   
3) Représentation de Boudicca lors d'un discours à ses hommes. Auteur inconnu. Disponible sur : https://cronistoria.altervista.org/la-ribellione-di-boudicca-e-il-tramonto-del-druidismo/
4) Destruction de Camulodunum par Boudicca. Auteur inconnu. Disponible sur : https://peashooter85.tumblr.com/post/97018916520/boudicca-warrior-queen-part-ii-the-harrowing-of
5) Statue de Suetonius Paulinus devant des bains romains (Bath). 1894. Photo prise par Ad Meskens. Disponible sur : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Roman_baths_suetonius_paulinus_02.JPG
6) Itinéraire de Boudicca lors de sa révolte. Auteur inconnu. Disponible sur : http://voyagesenduo.com/italie/rome_antique_bretagne.html
7) Illustration de la bataille de Watling Street. Auteur inconnu (peut-être James Field). Disponible sur : https://www.pinterest.com.au/pin/196751077449329542/
8) Statue de Boudicca par Thomas Thornycroft, Westminster. Photo prise par Carole Raddato. Disponible sur : https://www.flickr.com/photos/carolemage/7269525940