Les condottieri

Entre les XIIIe et XVIe siècles, la péninsule italienne est déchirée par des guerres incessantes entre factions partisanes : guelfes contre gibelins, familles rivales, etc., et des coalitions étatiques ou seigneuriales : conflits entre communes (Venise contre Milan) ou entre grands seigneurs (le pape contre le roi de France ou l’empereur lors des guerres d’Italie). La menace constante d’une attaque et d’une invasion nécessite la tenue en toute occasion d’une force militaire de défense. Cependant, le choix traditionnel d’une milice urbaine possède ses limites : entraînement sommaire des hommes, peu nombreux et avec un équipement disparate. En remplacement, le choix est fait de privilégier, à partir du XIVe siècle, des compagnies de mercenaires entraînés et rompus à l’art de la guerre, commandés par un capitaine, le condottiere.

Condottieri par lord frederic leightonCondottieri par lord Frédéric Leighton

Un mercenaire sous contrat

Contrairement aux mercenaires conventionnels, le condottiere (au pluriel condottieri) est un soldat engagé grâce à un contrat écrit, la condotta, où sont spécifiés le temps d’engagement et la rétribution, auprès d’un seigneur ou d’une commune. La durée du contrat s’est petit à petit accrue pour passer d’un engagement pour une bataille, soit quelques jours, à plusieurs années. Les contrats, à partir du moment où les employeurs pouvaient payer, étaient reconductibles. Avec le temps, la condotta s’est également mise à désigner la compagnie du condottiere.

Mercenaires moyen age graham turner 1

Illustration de mercenaires au Moyen Âge ©Graham Turner

Il finance lui-même les hommes et leur équipement ainsi que le ravitaillement. La loyauté des soldats est donc tournée entièrement vers leur capitaine et non vers leur employeur. De plus, lorsque le contrat est terminé, la compagnie a tendance à ne pas se dissoudre et à travailler pour un autre seigneur, parfois ennemi du précédent. Ce faisant, la péninsule est constamment traversée par des bandes de mercenaires qui, à forcer d’écumer les champs de bataille, deviennent de véritables professionnels de la guerre. Le condottiere Giovanni (Jean) de Médicis au XVIe siècle (1498 – 1526), a par exemple, et à plusieurs reprises, combattu pour les communes italiennes contre la France, puis avec la France contre le Saint Empire puis de nouveau contre la France.

 

Devenir condottiere

Pour devenir condottiere, deux voies étaient possibles. La première concerne les hommes issus déjà du monde du mercenariat. Armored condottiere italian style early 14th century 1Après avoir accumulé une fortune suffisante ils engagent des hommes pour former une troupe indépendante. Cela peut être à la suite de la dissolution d’une bande, à cause d’une défaite trop coûteuse en hommes, des difficultés financières du capitaine, etc., ou la volonté d’un soldat au « chômage » de faire carrière. Les premières compagnies de mercenaires ne comprennent pas de soldats italiens mais étrangers, en premier lieu des Espagnols avec la première compagnie en tant que telle, la Compagnie catalane (1302 – 1388), des Allemands ou bien des Hongrois. Ce n’est qu’à partir de la fin du XIVe siècle et au XVe siècle, que des condottieri italiens commencent à émerger. 

À côté, apparaît un nouveau profil de condottieri, ceux provenant de la noblesse. A cause du droit d’aînesse pour la succession, beaucoup de fils cadets et benjamins, voire des fils aînés, se tournent vers le métier des armes pour se faire un nom et accumuler des richesses. L’entraînement martial des fils de la noblesse leur permet de se défendre, dans une certaine mesure, sur le champ de bataille. De plus, la fortune familiale est un atout non négligeable pour commencer, ainsi que les éventuels réseaux familiaux et clientélaires pour trouver des employeurs. D’autre part, la vie aventureuse du condottiere est un motif attractif, pour une jeunesse en quête d’actions et baignée dans les récits chevaleresque du Moyen Âge.

 

 

 

Armure de condotteire au début du XIVe siècle
©Graham Turner                    

Le condottiere, chef de guerre, homme cultivé et seigneur

L’abondance des champs de bataille a permis l’émergence de grandes figures de capitaines, Berruguete pedro 1450 1504 1480 prince federico da montefeltro and his sonnotamment celles des seigneurs condottieri comme Francisco Sforza, devenu duc de Milan en 1450 après avoir chassé les Visconti. Frédéric III de Montefeltro et Sigismond de Malatesta sont parmi les plus connus du XVe siècle. Le premier (portrait à droite) a, grâce à ses campagnes et capacités administratives, fait de sa cité d'Urbino, une place forte et un des centres culturels majeurs de la Renaissance italienne. Son nom est inscrit dans l'histoire italienne comme un grand capitaine, mécène et un administrateur adroit. Ces seigneurs combattants se distinguent aussi par leur culture militaire, apprise à partir de traités antiques et médiévaux qu’ils entreposent dans des bibliothèques luxueuses. Ainsi, en plus d’être un chef de guerre, le condottiere est aussi un homme de lettres. Il puise dans les livres le savoir qui lui permet de vaincre son ennemi et améliorer ses tactiques de combat. Certains capitaines deviennent aussi des mécènes pour des écrivains et artistes dans leur seigneurie, à l'image de Frédéric de Montefeltro et Francisco Sforza.

L’art militaire des condottieri a également permis de faire évoluer la guerre médiévale vers une guerre plus moderne où les vastes armées féodales sont remplacées par des armées réduites, privilégiant la mobilité, le fantassin et les armes de traits (arcs et arbalètes), et parfois les arquebuses. Les condottieri sont polyvants, ils peuvent combattre et mener leurs hommes aussi bien en bataille rangée que lors d’un siège, notamment grâce aux traités sur la poliorcétique, l’art de mener des sièges, hérités des auteurs antiques. Ils participent ainsi à la lente révolution militaire de l’époque moderne où sont privilégiés les assauts de places fortes. Pour gérer au mieux la logistique de sa troupe, le condottiere fait appel aux services d’un intendant et peut compter sur le soutien de lieutenants et sergents qui installent une hiérarchie forte entre les hommes, font respecter la discipline et permettent l’autonomie de la compagnie. Le tout crée un sentiment d’appartenance et de loyauté entre les mercenaires.

Déclin et postérité d'une troupe d'élite en Italie

Ces armées indépendantes et redoutables ont cependant une fin. Dès le XVe siècle, elles doivent faire face aux compagnies royales, des soldats professionnels engagés et formés par les rois durant leurs campagnes. Les compagnies périclitent dans les royaumes où ces nouvelles armées émergent : France, Angleterre, Espagne, Saint Empire romain germanique, mais persistent en Italie grâce au morcellement très important du territoire qui ne permet pas la conception d’armées importantes. Malgré ce contexte favorable à leur présence, les condottieri sont pourtant mis au pas par l’empereur Charles Quint au XVIe siècle lorsqu’il parvient à presque unifier la quasi-totalité de la péninsule. Ses tercios, des unités de lanciers espagnols armés de longues lances et regroupés en carrés à l'image des phalanges macédoniennes, sont de redoutables adversaires pour les condotteiri. Le XVIe siècle marque ainsi la fin des armées de mercenaires. Giovanni de Médicis, mort en 1526, commandant de la troupe des Bandes noires (« Bande Nere »), est considéré par beaucoup comme le dernier grand condottiere. Même s'il existe des condottieri après Giovanni de Médicis, leurs actions restent anecdotiques et n'ont plus la même importance qu'auparavant.

Malgré le fait qu’ils avaient la fâcheuse tendance à piller les terres des ennemis vaincus, l’image du condottiere est restée dans l’histoire comme celle d’un guerrier noble et habile combattant. César Borgia, l'un des fils du pape Alexandre VI est parmi l'un des plus célèbres. Impitoyable pour ses adversaires, il était aussi un amateur d’art et des lettres. Certains étrangers ont même réussi à faire carrière en tant que capitaines comme l’Anglais John Hawkwood au XIVe siècle, considéré comme l’un des premiers condottieri modernes, ou encore l’Allemand Werner von Urslingen. Enfin, le personnage du condottiere se retrouve de plus en plus dans la culture populaire avec dès 1995 la parution du jeu de société Condottiere, puis des oeuvres littéraires comme le manga Hawkwood-Mercenaire de la guerre de Cent Ans (Tommy Ohtsuka, 2010) voire des jeux vidéo avec le personnage de Bartolomeo d'Alviano et ses mercenaires dans le jeu Assassin's Creed Brotherhood (Ubisoft, 2010).

Statue equestre de colleoni

Statue équestre de Bartolomeo Colleoni à Venise, par Le Verrochio.
Image de la grandeur des condottieri et du faste des seigneurs militaires de la Renaissance italienne.

 

Publié par Adrien RASATA, le 28/02/2022

Sources

Articles internet :

 

Vidéos YouTube :

  • Urbino – The Light of Italy : Federico da Montefeltro – Extra History, par la chaîne Extra Credits, mise en ligne le 16 juillet 2016 [en ligne] [visionnée le 04/02/2022] Disponible sur : https://youtu.be/kAfNQ_XiPjQ

 

Crédits images :

  1. Condottiere, par lord Frédéric Leighton (1871-1872). Disponible sur : https://artsandculture.google.com/asset/a-condottiere/qAHNgLmBODRegg
  2. Mercenaires italiens au XIVe siècle par Graham Turner (2010) Disponible sur : https://www.flickr.com/photos/cool-art/4483941954/
  3. Condottiere en armure au début du XIVe siècle par Graham Turner. Disponible sur : https://www.pinterest.fr/pin/370632244310086695/
  4. Prince Frédéric de Montefletro et son fils Guidobaldo, par Pedro Berruguete (1480). Disponible sur : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Pedro_Berruguete_-_Prince_Federico_da_Montefeltro_and_his_Son_-_WGA02085.jpg
  5. Statue équestre de Bartolomeo Colleoni à Venise, par Andrea del Verrochio (1480-1495). Disponible sur : https://www.wga.hu/frames-e.html?/html/v/verocchi/sculptur/colleoni.html
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