1212 - Las Navas de Tolosa

1212, une date aussi facile à retenir que celle de Marignan mais dont les événements sont quasi-inconnus pour les élèves et adultes au nord des Pyrénées. Pourtant, le sort de l’Espagne s’est joué à Las Navas de Tolosa le 16 juillet 1212. Une coalition de rois espagnols sous le commandement suprême d’Alphonse VIII de Castille, comptant 15 000 hommes venus de toute l’Espagne chrétienne, et même d’Europe occidentale, affronte l’immense armée, deux fois plus nombreuse, du calife almohade Muhammad al-Nasir. Ces deux civilisations qui se font face, se font la guerre depuis le VIIIe siècle pour l’hégémonie de la péninsule ibérique. Jusque-là, les musulmans sont restés maîtres sur les champs de bataille mais tout peut changer cette fois-ci. Non seulement, les rois se sont unis dans un but commun, bouter les Almohades hors d’Espagne, mais ils peuvent également compter sur le soutien du pape qui a accordé à la campagne le statut de croisade. La bataille de las Navas de Tolosa est aujourd’hui une date incontournable de la lente mais certaine reconquête des terres ibériques par les rois chrétiens. Cette entreprise militaire et politique prend au XIXe siècle le nom de Reconquista et s’étend du VIIIe à la fin du XVe siècle.

800px batalla de las navas de tolosa por francisco van halen

Al-Andalus : de la conquête musulmane à la naissance des royaumes chrétiens

             Au début du VIIIe siècle, le royaume chrétien wisigoth du roi Rodéric, qui règne alors sur l’ensemble de la péninsule ibérique, est envahi par une armée de Berbères venue d'au-delà du détroit pour répandre l'islam à travers le monde connu. Après la défaite du roi à Guadalete en 711, l’Espagne (Espagne et Portugal actuels) est presque entièrement sous domination berbère à la fin de la décennie. Les survivants chrétiens se réfugient dans le nord, au royaume des Asturies. De là, naissent les royaumes de León et de Pampelune au Xe siècle qui étendent leur domaine par des conquêtes militaires classiques ou par l'action d'entrepreneurs particuliers lançant des expéditions de conquête pour leur propre compte. Une mosquée de Séville demande au roi d'Espagne de s'excuser pour la «  Reconquista » - Contre-Info Depuis les anciennes Asturies, les chrétiens participent à la Reconquista, c'est-à-dire la reconquête des anciennes terres wisigothes pour les soustraire à l'islam et redonner le pouvoir politique à un souverain ibérique chrétien. Ces terres qui portaient le nom d'Hispania sous l'Empire romain sont, selon l'idéologie chrétienne, données par Dieu aux chrétiens et leur appropriation par les Berbères est inacceptable et cela devient une mission divine pour tous les « Espagnols » de participer à la Reconquista, que ce soit le roi, les combattants ou bien le simple paysan.

Cette reconquête est cependant très chaotique avec des allers-retours suivant les victoires et les défaites chrétiennes. Cela est dû en grande partie aux nombreuses mutations politiques qui ont eu lieu en Espagne musulmane qui a pris le nom d'al-Andalus. Du VIIIe au XIe, l'émirat puis le califat de Cordoue ont structuré la région autour d'un pouvoir central et d'un souverain incontesté. Cela prend fin en 1031 et al-Andalus se retrouve morcelé en divers royaumes musulmans indépendants, les taïfas. Ceux-ci sont très belliqueux entre eux tandis qu’au nord les royaumes chrétiens développent leur appareil politique et militaire afin de profiter de l'instabilité régnante. Des anciens royaumes de León et de Pampelune émergent en 1035 ceux de Castille, qui s'autonomise du León avant de conquérir ce dernier en 1037, la Navarre et l'Aragon. En 1085, Alphonse VI de Castille-León veut devenir le maître de l'Espagne et s’empare pour cela la cité de Tolède dont il devient le roi. Cela marque l'avancée la plus méridionale des chrétiens en terres musulmanes. Cependant, les ambitions du roi sont stoppées en 1086 lorsque les taïfas appellent au secours l'empire marocain des Almoravides. L'émir almoravide défait les chrétiens à Sagrajas et prend le pouvoir en al-Andalus à la place des taïfas.

Au XIIe siècle, la Reconquista se transforme lors qu'éclate le phénomène des croisades qui voient des milliers de chevaliers et seigneurs  http://2.bp.blogspot.com/_Rj1JrxR1RkE/TKtRpELIFFI/AAAAAAAAAmQ/c42ItFqR390/s640/80x80_la_reconquista_1.png d'Europe se lancer à l'assaut de la Terre Sainte pour reprendre et protéger Jérusalem de la menace musulmane. L'Espagne n'y échappe pas. De nombreux chevaliers traversent les Pyrénées pour combattre au nom des rois ibériques et bouter les Almoravides hors d'Espagne. Leurs prouesses au combat leur permettent alors de prétendre à un titre de noblesse et de devenir ainsi caballeros, ceci impliquant l'acquisition de revenus pour l'obtention d'un lopin de terre, un fief. Les nouveaux caballeros s'installent sur les terres qu'ils viennent de prendre aux musulmans, participant ainsi à une entreprise de repeuplement par les chrétiens et par voie de conséquence à l'extension du pouvoir du roi dont les terres appartiennent au domaine royal. Pratique nouvelle, les rois ibériques étendent leur domaine sur les taïfas voisins en leur promettant de ne pas les envahir et même de les protéger s'ils acceptent de leur payer un tribut. Ces taïfas deviennent alors des protectorats comme ce fut le cas pour le taïfa de Saragosse, tributaire du royaume d'Aragon. Ces acquisitions de terres sont une source de fortes tensions entre les royaumes chrétiens qui se battent pour l'hégémonie dans la région. De ces tensions, nait par exemple le royaume de Portugal en 1139, concrétisé par la prise de Lisbonne en 1147.

Cette même année 1147, les Almoravides sont renversés par une secte venue des montagnes marocaines, les Almohades. De leur capitale Marrakech, le nouveau pouvoir instaure un califat et lancent ses armées sur les possessions almoravides, au Maghreb comme en al-Andalus. En 1148, Cordoue est prise et en 1154 c'est au tour de Grenade. Depuis l’Andalus occidentale, les Almohades poussent vers l'Est et le nord en direction de Valence, malgré quelques défaites comme la perte de Cuenca en 1177. Les Almohades deviennent les nouveaux maîtres d'al-Andalus et rien ne semble les arrêter. Comme chez les chrétiens, al-Andalus serait une terre riche pour les musulmans et, selon la tradition coranique, aurait été offerte par Allah aux croyants pour les remercier de leur ferveur. Elle ne demande qu'à être découverte par les musulmans et surtout, face à l'avancée chrétienne, à être de nouveau convertie à l'islam. Une guerre sainte, djihad, s’organise avec des caravanes d'hommes venus du Maghreb pour convertir les Espagnols. Ces soldats prennent le nom de moudjahidines (combattants de la foi).

Les prémices de Las Navas de Tolosa, la bataille d’Alarcos (1195)

Malgré les avancées musulmanes, les royaumes chrétiens continuent de s’agrandir. En 1137, le royaume d'Aragon s'unit au comté de Barcelone formant ainsi la Couronne d'Aragon. Les conquêtes vers le sud continuent avec la prise des cités almohades de Setubal et d'Evora, en 1159 et 1165 par le roi de Portugal. La victoire lors de la défense de Santarem contre une armée du calife Abu Yaqub Yusuf en 1184 participe à la construction du récit national portugais. Pour organiser la distribution des nouvelles terres, des traités de partage sont signés entre les rois comme celui de Cazola en 1179. Pour celui-ci, le roi de Castille obtient du roi d'Aragon l’acquisition des villes de Carthagène et les terres de l'ancien royaume de Murcie au sud-est.

De nouvelles alliances politiques sont également conclues entre les royaumes chrétiens. Le roi de Castille, Alphonse VIII (1157 – 1214) (illustré ci-contre),  Anglais : Portrait du roi Alphonse VIII de Castille, roi de Castille et  León de 1158 à veut en finir avec la menace musulmane et obtient grâce à des traités de paix, l'aide des rois de León, Alphonse IX, et de Navarre, Sanche VII, pour lancer une opération en 1195 dans le sud de l'Espagne au début de l’été avec pour objectif de prendre Séville. L’apprenant, le calife Abu Yusuf Yaqub al-Mansur (1184 – 1199) quitte le Maroc, débarque au port de Tarifa le 1er juin avec une armée de 40 à 60 000 soldats puis remonte le Guadalquivir jusqu’à Cordoue. De là, il prend la route pour le village de Las Navas de Tolosa, dans la province actuelle de Jaén, et empreinte le défilé de Despeñaperros, passage suffisamment sûr pour traverser les montagnes de la Sierra Morena. Le défilé est un lieu stratégique pour passer de l’Andalousie aux plateaux de la Meseta centrale. Une fois arrivé de l’autre côté au début juillet 1195, al-Mansur fait halte dans le village d’Alarcos pour y attendre les armées chrétiennes. Impatient d’en découdre, Alphonse VIII rassemble 80 000 hommes à Tolède et part à la rencontre d’al-Mansur qui vient d’entrer dans son royaume. Sans attendre l’arrivée des renforts léonais et navarrais, les Castillans prennent seuls la route d’Alarcos. 

Lorsqu’ils arrivent le 18 juillet, ils sont clairement dominés numériquement. Alphonse VIII fait mettre ses hommes en ordre de bataille, une première ligne composée de sa cavalerie lourde et une seconde ligne avec l’infanterie. En face, les Almohades possèdent une armée composée des différentes tribus de leur empire ainsi que des soldats andalous réquisitionnés au moment de leur marche depuis Tarifa. al-Mansur place ses hommes suivant leur tribu d’origine avec en première ligne des fantassins et archers Zénètes soutenus par une deuxième ligne d’hommes venus de la tribu des Hintatas et enfinhttps://i.pinimg.com/originals/b1/d0/8d/b1d08d87ba337ee1a5931ab1e97def80.jpg une troisième ligne avec l’infanterie lourde almohade qui composait la garde personnelle du calife. Sur les flancs, les lignes étaient soutenues par des fantassins arabes à gauche et andalous à droite.

L’affrontement commence par une charge éclair menée par les cavaliers castillans qui enfoncent les Zénètes et les Hintatas et menacent en quelques instants les fantassins almohades, pourtant en troisième ligne. Pour soutenir ses cavaliers, Alphonse VIII et son infanterie entrent dans la mêlée. Reprenant leur esprit après cette première charge, les rangs almohades résistent et les ailes débutent l’encerclement des Castillans. Les combats se font de plus en plus durs et se déplacent vers le flanc droit des almohades. Ces derniers voient alors le flanc gauche se libérer et l’infanterie arabe vient soutenir le reste de l’armée. Après plusieurs heures de combat et un soleil d’été tapant, les soldats d’Alphonse sont épuisés et encerclés. C’est l’occasion rêvée pour al-Mansur qui envoie sa réserve d’infanterie. C’est la fin, l’armée espagnole dépassée est anéantie, le roi parvient de justesse à s’enfuir.  

Les deux années suivantes, al-Mansur lancent quelques raids en Castille mais décide en 1197 de signer une trêve de 10 ans avec les rois ibériques. Le but, refaire ses forces et poursuivre la conquête des terres almoravides, notamment sur les Baléares. Bien que défait, Alphonse VIII a la rancune facile et pendant toute la durée de la trêve, échafaude un plan pour reprendre ses terres et conquérir les terres almohades.

De la trêve à la croisade, le retour des hostilités

La trêve prend fin en 1209 lorsqu’Alphonse VIII lance à nouveau des raids en al-Andalus. Ils est suivi par les autres souverains espagnols comme le roi d’Aragon depuis le comté de Catalogne en direction de Valence. A Marrakech, Muhammad al-Nasir a succédé à son père Al-Mansur en 1199.L'armée almohade berbère | Art historique, Illustrations historiques,  Croisade En recevant les nouvelles des agitations en Al-Andalus, il fait lever une armée en 1211 pour mater ses turbulents voisins. Entre 50 000 et 70 000 hommes traversent le détroit de Gibraltar et entrent en Espagne. Estimant qu’Alphonse VIII représente la plus grande menace, al-Nasir dirige son armée aux frontières castillanes et prend ses quartiers à Cordoue. Le 13 août 1211, il s’empare de la cité fortifiée de Salvatierra pour en faire la tête de pont de ses futures expéditions.

Ayant appris de son erreur à Alarcos, Alphonse VIII demande l’aide de ses voisins ibériques. Pendant la trêve, entre 1206 et 1209, l’archevêque de Tolède, Rodrigo Jiménez de Rada (portrait ci-contre) Rodrigo Jiménez de Rada - Alchetron, the free social encyclopedia participait pour le compte du roi de Castille à la pacification des relations entre les rois chrétiens qui se concrétise par une paix signée en 1209 à Guadalajara. Maximisant ses chances, Alphonse VIII envoie ce même Rodrigo à Rome demander au pape Innocent III d’octroyer à cette expédition le statut de croisade afin de quérir l’aide des autres royaumes chrétiens d’Europe. Le pape accepte, considérant son entreprise comme une juste croisade servant la reconquête des anciennes terres chrétiennes. Le bruit de la croisade se répand dans les évêchés d’Espagne mais aussi de France, de Belgique et même dans le Saint Empire. Elément de persuasion, chaque chevalier mort au combat durant la croisade obtient la rémission de ses péchés. En quelques jours, d’immenses flux de chevaliers et de soldats (les non-nobles) s’amassent à Tolède, point de ralliement de la croisade. Sont présents des moines-soldats, Templiers et Hospitaliers venus d’Europe occidentale et centrale mais aussi ceux des ordres espagnols comme ceux de Calatrava et de Santiago. A cela viennent s’ajouter les armées royales, les osts, de Sanche VII le Fort de Navarre (peu impliqué il n’envoie que 200 chevaliers), de Pierre II d’Aragon et des croisés volontaires venus de France, d’Angleterre et du reste de l’Europe. Selon les sources, ils seraient près de 2 000. Seuls les rois de León et du Portugal sont absents du tableau, à cause de relations tendues avec Alphonse VIII. Des volontaires léonais et portugais composent cependant les rangs des croisés. En mai 1212, cet assemblage hétéroclite d’hommes mobilise entre 25 et 30 000 soldats prêts à défendre la foi chrétienne.

La bataille de Las Navas de Tolosa

Conquête et reconquête de la péninsule Ibérique | lhistoire.fr Le 20 juin, l’armée croisée lève le camp et prend la route d’Alarcos afin d’emprunter le défilé de Despeñaperros. En son absence, Alphonse VIII reçoit l’assurance du pape de menacer d’excommunication les rois qui attaqueraient la Castille durant la croisade. En chemin, les croisés capturent les forteresses de Malagón et de Calatrava les 23 et 30 juin. Après cette deuxième prise, la grande majorité des croisés ultramontains (ceux venus d’au-delà des Pyrénées) jugent leur appui à la croisade suffisant et quittent l’armée d’Alphonse VIII le 3 juillet. Selon les chroniqueurs, la raison serait plutôt due à un manque de motivation de la part des  ultramontains et d’un manque d’organisation dans la chaîne de commandement. Seuls 130 chevaliers décident de rester et autant de fantassins pour un total de 15 000 hommes continuant l’expédition. Le 4 juillet, les Espagnols retrouvent les terres d’Alarcos et le 14 ils sont aux pieds de la Sierra Morena.

Le 22 juin, voyant la menace arriver sur lui, al-Nasir quitte Séville où il avait passé l’hiver et atteint l’entrée sud du défilé, dans le village de Las Navas de Tolosa, le 13 juillet. Il ordonne de bloquer le passage, laissant le choix à ses adversaires de traverser par un passage plus risqué ou bien de mourir de faim dans une épreuve d’attrition. Malheureusement pour lui, Alphonse VIII reçoit la visite d’un berger vivant dans la région l’informant d’un passage plus à l’ouest pour contourner les Almohades, El Puerto (col) de Muradal. Une fois sortie des montagnes, l’armée croisée se retrouve sur les arrières d’al-Nasir, surpris par cette armée semblant venue de nulle part.

Les combats ne démarrent que deux jours plus tard et le 16 juillet au matin, Alphonse VIII fait mettre l’armée en ordre de bataille. Les Espagnols se répartissent en trois blocs divisés chacun en trois corps. Au centre, les chevaliers ultramontains et les volontaires espagnols composent l’avant-garde castillane sous le commandement de Diego Lopez de Haro. Elle comprend des cavaliers lourds servant à enfoncer les rangs ennemis.
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En deuxième ligne, se trouve les ordres religieux et les milices urbaines de Castille, des soldats venus au nom de leur cité remplir un « service militaire » occasionnel ainsi que de la cavalerie légère. L’arrière-garde castillane comprend l’armée personnelle d’Alphonse VIII et a pour rôle d’intervenir là où le front sera le plus fragile. A gauche, c’est l’armée du roi d’Aragon composée de miliciens pour les deux premières lignes et le corps principal en arrière. Le flanc droit est sous le commandement de Sanche de Navarre, lui aussi comptant sur la force de miliciens, notamment ceux de Ségovie, Avila et Medina del Campo.  En face, les Almohades sont eux-aussi dans uneArt by Pierre Joubert -- The Battle of Las Navas de Tolosa, 16 July, 1212,  in which an allied Christian force def… | Medieval art, Medieval knight,  Medieval history formation en trois lignes, la même qu’à Alarcos. L’avant-garde est constituée d’une infanterie légère faite de fantassins musulmans, avec de nombreux archers, répondant à l’appel du jihad. La deuxième ligne comprend la cavalerie lourde avec des cavaliers berbères mais aussi andalous. L’arrière-garde se compose de la garde personnelle (la Garde noire) d’al-Nasir positionnée en haut de la colline des Olivares. Ces lignes peuvent compter sur le soutien de cavaliers légers sur les flancs chargés d’harceler et de fatiguer leurs ennemis à coups de javelots et de flèches.

Les Castillans prennent l’initiative de l’attaque. La cavalerie lourde charge à travers les lignes d’al-Nasir pour ainsi détruire la formation et le moral des troupes. En soutien, l’infanterie lourde de la deuxième ligne se lance elle-aussi dans la mêlée. Cette offensive s’avère très efficace contre l’infanterie almohade mais les croisés perdent rapidement leur élan. Tout comme à Alarcos, les ailes almohades encerclent petit à petit l’armée d’Alphonse VIII.  Les combats sont alors d’une grande brutalité et les hommes tombent par centaines. Al-Nasir, pour rompre avec une bataille de plus en plus statique, envoie sa cavalerie lourde qui fait reculer les croisés. En réponse, Pierre II et Sanche VII viennent soutenir leur aile respective avec leurs troupes. Finalement, Alphonse VIII déploie sa garde personnelle pour stabiliser le front et empêcher les musulmans d’enfoncer ses lignes. Le front s’immobilise une nouvelle fois mais déjà des failles émergent dans le camp d’al-Nasir. Sanche VII de Navarre profite alors d’une opportunité et pénètre le flanc gauche du calife avec ses cavaliers.  Il grimpe la colline où se trouve le camp d’al-Nasir et anéantit les gardes restés sur place. Surpris par cet assaut, la garde noire du calife ne parvient pas s’organiser et à stopper l’assaut du roi. Voyant ses efforts anéantis, le calife prend la fuite avec une petite escorte, laissant derrière lui son camp, sa bannière et son armée. Une fois le calife parti,  Sanche fait couper la bannière musulmane pour montrer sa victoire. À la vue de la perte de leur camp, les rangs almohades se cassent, les hommes se dispersent et s’enfuient.

Conséquences de la bataille

Après leur victoire, les croisés pourchassent et massacrent les restes de l’armée almohade jusqu’au camp d’al-Nasir. Sur place, les hommes prennent tout, objets précieux, animaux, armes. Parmi le butin, les croisés découvrent une tapisserie dans la tente du calife qui deviendra l’étendard de Las Navas de Tolosa. Alphonse VIII l’envoie ensuite au monastère de Las Huelgas à Burgos comme trophée de guerre. Cet étendard y est encore visible aujourd’hui. Fig.123. title: las navas de tolosa banner. location: morocco or spain.  year: early 13th century. materials: silk, go… | Medieval banner, Islamic  art, Islamic world

Le lendemain, les croisés reprennent leur marche vers le sud et assiègent forteresse après forteresse. Le 20 juillet 1212, la forteresse de Baeza, à 60 km au sud de la Navas de Tolosa, est prise. Les défenseurs ont perdu le moral après la défaite d’al-Nasir et ils offrent peu de résistance. Les garnisons sont toute passées au fil de l’épée. Les croisés s’arrêtent dans leur lancée par l’apparition de maladies dans leur camp, notamment la dysenterie causée par le manque d’hygiène des soldats et la chaleur de l’été éprouvant les corps et les esprits. Alphonse VIII prend la décision de rentrer à Tolède. C’est la fin de l’expédition de 1212.

La domination en Espagne a désormais changé de main. Malgré la perte des belligérants dans les années qui suivent la bataille, Pierre II durant le siège de Mouret en 1213, al-Nasir la même année dans des circonstances obscures après avoir abdiqué en faveur de son fils et enfin Alphonse VIII en 1214. La défaite de Las Navas secoue fortement l’empire almohade dont la politique et l’assise territoriale sont remises en cause au Maghreb dans les années 1230. De nouveaux taïfas voient le jour et s’émancipent du pouvoir central de Marrakech. Une fois leurs forces refaites, les rois ibériques repartent à l’assaut des terres almohades. La poussée est rapide, Cordoue se rend en 1236 et Séville en 1248. Battle Of Las Navas De Tolosa Banque d'image et photos - AlamyLe royaume de Murcie devient possession castillane en 1243 et Cadix est finalement conquise en 1263. A ce moment-là, il ne reste plus de l’ancien Al-Andalus que le taïfa de Grenade qui résiste pendant plus de deux siècles aux prétentions ibériques jusqu’à l’arrivée des rois catholiques en 1492 qui marque la fin de la Reconquista.

Las Navas de Tolosa se démarque au sein des nombreuses batailles qui composent la Reconquista par les changements qu’elle a induit, directement ou indirectement, dans la péninsule ibérique. Les royaumes chrétiens, au départ très individualistes ont su, par choix ou par pragmatisme, s’unir le temps d’une bataille. Elle revient à inscrire dans le temps et l’espace les conflits qui opposent deux mondes qui s’opposaient majoritairement par de petites escarmouches. Elle se distingue des autres batailles par l’origine des combattants. Si, pour les musulmans, l’emploi de troupes étrangères étaient monnaie courante, chez les chrétiens, cela ne va pas de soi. D’autant plus que certains croisés venaient de France ou des terres germaniques. Il ne faut pas oublier finalement la portée symbolique de cette rencontre qui fut celle des hommes mais aussi celle des religions. Chaque camp a combattu pour sa guerre sainte, son dieu et sa foi. En Espagne, las Navas de Tolosa s’intègre également dans un récit national et dans une identité espagnole marquée par la conjugaison entre les cultures chrétienne et musulmane mais qui a aussi été un élément de la construction de l’Espagne actuelle comme État unique depuis les Espagnes médiévales.

 

Publié par Adrien RASATA  le  27 août 2020

Sources et bibliographie

Ouvrages et articles de revues/magazines

  • Menjot Denis, Las Navas de Tolosa : la dernière grande bataille rangée de la « Reconquête » in L’Espagne des origines à nos jours, Fayard, Paris, 2013
  • 59. La bataille de Las Navas de Tolosa (1212) In : Pays d’Islam et monde latin : xe-xiiie siècle. Textes et documents [en ligne]. Lyon : Presses universitaires de Lyon, 2000 (généré le 23 août 2020). Disponible sur Internet : http://books.openedition.org/pul/21126. ISBN : 9782729710668. DOI : https://doi.org/10.4000/books.pul.21126.
  • 66. Las Navas de Tolosa una batalla decisiva de la historia de España (2005) [en ligne] Real Academia de Bellas Artes de San Telmo. Disponible sur : https://dialnet.unirioja.es/servlet/articulo?codigo=2282153 

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Crédits photos

1) Tableau de Francisco de Paula van Halen, La Batallla de Las Navas de Tolosa, 1864, Palais du Sénat (Espagne)
2) Source inconnue, disponible sur : http://www.contre-info.com/une-mosquee-de-seville-demande-au-roi-despagne-de-sexcuser-pour-la-reconquista
3) Carte de la Reconquista : l’évolution d’Al-Andalus dans le temps, source inconnue, disponible sur : https://www.espagne-facile.com/reconquista-2/826/
4) Portrait supposé d'Alphonse VIII de Castille, Auteur iconnu, XVIe - XVIIe siècle, disponible sur : https://www.alamyimages.fr/anglais-portrait-du-roi-alphonse-viii-de-castille-roi-de-castille-et-leon-de-1158-a-1214-1594-auteur-inconnu-16-17eme-siecle-1018-portrait-d-alphonse-viii-de-castille-libro-de-retratos-de-los-reyes-1594-image185551048.html
5) Source inconnue, disponible sur : https://www.pinterest.co.uk/pin/548946642065659593/?d=t&mt=login
6) Source inconnue, disponible sur: https://www.sutori.com/story/the-battle-of-alarcos--RHcWoCweTNdPHsyzwvn3ECWM
7) Source inconnue, disponible sur:https://alchetron.com/Rodrigo-Jim%C3%A9nez-de-Rada
8) Itinéraire de la croisade jusqu'à la Las Navas de Tolosa, L'Histoire, disponible sur : https://www.lhistoire.fr/carte/conqu%C3%AAte-et-reconqu%C3%AAte-de-la-p%C3%A9ninsule-ib%C3%A9rique
9) Plan de bataille de Las Navas de Tolosa, source inconnue, disponible sur : https://krak-des-chevaliers.forumactif.org/t49-las-navas-de-tolosa
10) Peter Joubert, Las Navas de Tolosa, disponible sur : https://www.pinterest.fr/pin/349803096038065343/
11) Etendard de Las Navas de Tolosa rapporté par Alphonse VIII du camp d'al-Nasir, source inconnue, disponible sur : https://www.pinterest.co.uk/pin/572872015098905084/
12) Source inconnue,disponible sur : https://www.alamyimages.fr/photos-images/battle-of-las-navas-de-tolosa.html

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