Philis de la Charce

Philis de la Charce (1645 - 1703) est un nom qui est tombé dans l'oubli de l'histoire de France en dehors de quelques bastions dans l'ancienne province du Dauphiné : sa région natale de Charce, Nyons et Grenoble. Le manque d'informations sur elle semble la reléguer à une histoire très locale, et pourtant, son nom fut mentionné par de grands personnages du XVIIe siècle tels qu'Antoinette des Houilières, une poétesse, Madame de Sévigné ou encore le roi Louis XIV. En effet, derrière ce patronyme se cache une légende, celle de la "Jeanne d'Arc du Dauphiné", une Amazone, qui a pris les armes pour défendre son domaine et ses gens durant la guerre de la Ligue d'Augsbourg (1688 - 1697) et l'invasion du Dauphiné par le duc de Savoie en 1692. Voici l'histoire d'une héroïne dauphinoise qui a marqué de son empreinte le Dauphiné.

Philis de la tour du pin de la charce 1645 1703 heroine du dauphine frederic legrip 19th c

Philis de la Charce par Fédéric Legrip (1856)

 

Une fille de la noblesse de province

Philis naît en janvier 1645 à Montmorin (aujourd’hui dans les Hautes-Alpes), dans une famille de la noblesse d'épée dauphinoise, les de la Tour du Pin de la Charce, avec pour nom de naissance Philippe. Il s'agit d'une famille connue dans la région grâce à l'action de certains de leurs ancêtres qui se sont illustrés sur le champ de bataille comme René de Gouvernet, ancien gouverneur de Nyons qui acquit le titre de marquis par Louis XIII en 1619 ou encore son père, Pierre de la Charce, qui se fit remarquer lors du siège de La Rochelle en 1627-1628. Il devient plus tard lieutenant dans l'armée de Turenne, un des grands maréchaux de Louis XIV, et obtient le titre honorifique en fin de carrière de maréchal général des camps et des armées du roi.  Malgré son titre de noblesse, la famille de la Charce n'était pas riche. Bien que recevant une pension de la part du roi d'environ 2 000 livres, les dépenses liées à l'entretien de leurs propriétés : au moins deux châteaux entre Charce et Nyons, et des procès récurrents avec la population vident rapidement leurs coffres. Entre les deux châteaux, la famille avait l'habitude d'alterner entre leur résidence d'été à Charce et d'hiver à Nyons. Le premier s'avère plus coûteux que le second et se retrouve petit à petit délaissé puis abandonné en partie. Les difficultés finanières de la famille font que seule la fille aînée a réussi à se marier. Les autres, dont Philippe, sont condamnées au célibat car elles ne pouvaient pas constituer une dote suffisante pour un "bon" mariage.

Chateau de charce

Château des seigneurs de la Charce ©supermom99

Durant son enfance, elle reçut une éducation poussée. Elle parle plusieurs langues et possède des connaissances fines en art et en littérature. Elle reçut aussi une éducation martiale, afin de reprendre un tant soit peu l'héritage familial. Madame des houlieresEn 1672 -1674, alors que la famille était à Nyons, elle rencontre la poétesse Antoinette des Houilières, une "précieuse" célèbre dans tout le royaume de France (portrait ci-contre). Madame des Houilières entretient une petite cour dont font partie les grandes figures locales comme Madame de Sévigné et le comte de Grigan. Parmi les habitués, Philippe et sa sœur Marguerite. Auprès de la poétesse, Philippe développe son régistre littéraire et prendre le nom de Philis, inspiré directement de L'Astrée d'Honoré Urfé et afin d'avoir un nom à consonnance antique comme il était à la mode de le faire à la cour royale. Sa sœur se fait par exemple appeler Sapho. Avec le temps, Madame des Houilières et Philis développe une profonde amitié et le nom de Philis se retrouve dans la correspondance de la poétesse ainsi que dans un poème écrit en 1673 qui lui est directement dédicacé Pour la fontaine de Vaucluse.

Quatrième enfant d’une famille de dix, elle devient la cheffe de famille lorsque ses deux grands frères meurent durant la guerre de Hollande (1672 – 1674) et sa grande sœur est partie avec son mari en Bourgogne. Avec la mort du père en 1675, elle est la seule, en dehors de sa mère, qui reste pour prendre en main le domaine. Elle agit en véritable seigneur dans son domaine et acquiert également la sympathie des habitants.

 

La légende de Philis de la Charce

En 1686, Philis de la Charce, née protestante, une tradition familiale, se convertit au catholicisme après la révocation de l'Edit de Nantes en 1685 par l'Edit de Fontainebleau. Si par ce geste elle affirme sa loyauté vis-à-vis du pouvoir royal, elle occasionne aussi les critiques de ses gens. En effet, bien que la cohabitation entre les religions soit alors relativement paisible, Philis se trouve être la marraine de nombreux enfants protestants.Il y a donc un problème religieux. Heureusement pour elle, la situation ne s'envenime pas outre mesure et l'entente est maintenue.

Le destin de Philis de la Charce bascule ensuite en 1692. La France est alors en pleine guerre de la Ligue d'Augsbourg contre une coalition d'Etats européens. Alors que les armées françaises sont surtout stationnées dans le nord-est, la coalition charge le duc de Savoie Victor-Amédée II de créer un nouveau front dans le sud-est en traversant les Alpes et en attaquant le Dauphiné, en particulier les places fortes stratégiques de Grenoble et Lyon. Philis de la charce barricadeEn face du duc, se trouve le maréchal de Catinat, commandant des armées royales en Dauphiné. En légère infériorité numérique, les Français ne peuvent pas opter pour une guerre classique contre les Savoyards et préfèrent sacrificier les vallées au profit des cols et voies d'accès aux grandes villes.

Y voyant un avantage pour son invasion, Victor-Amédée II lance ses opérations le 21 juillet 1692 avec 40 000 hommes. Malgré une relative impréparation des Savoyards, ils obtiennent quelques succès initiaux comme la prise d'Embrun le 16 août ou encore la main mise sur la Durance courant juillet. Ils sont finalement stoppés à Veynes, aux portes du Diois et sur la route de Grenoble un peu plus au nord. C’est dans ce contexte que l’histoire de Philis de la Charce commence. Armée d’un sabre et voyageant à cheval, elle parcourt son domaine pour rallier la population et organiser la résistance. Ses efforts portent leurs fruits car elle parvient à bouter l’ennemi hors de France en à peine un mois et libère le Diois, Gap et les Baronnies. Le 12 septembre, Victor-Amédée donne le signal de la retraite. L’exploit de Philis est rapporté par le Mercure Galant, un journal d’actualité avant l’heure ainsi que par la correspondance de certains nobles, comme Madame de Sévigné et d'officiers qui ont combattu comme le marquis de Larrey, alors lieutenant général et commandant de la place d'Embrun.

À la fin des années 1690, elle vient à Paris et rencontre Louis XIV à Versailles. En remerciement pour son action, il lui octroie une pension annuelle de 2 000 livres ainsi que des livres de Charles Perrault et des armes. C’est durant ce séjour à la capitale qu’un portrait d’elle est réalisé par un peintre de cour, Pierre Mignard.

L’exploit de Philis est ensuite partagé par des auteurs comme Madame de Sévigné et représenté par des statues. Elle devient une véritable légende en France et en particulier dans le Dauphiné. Au XIXe siècle, elle est surnommée la « Jeanne d’Arc du Dauphiné » ou porte parfois le titre "d'amazone".

Lorsqu’elle meurt en 1703, à 58 ans, son corps est enterré à Nyons puis inhumé dans un mausolée construit en 1853. Ce dernier devient par la suite un lieu de recueillement pour les locaux.

Portrait de philis de la charce

Portrait de Philis de la Charce, artiste inconnu, peut-être Pierre Mignard

De la légende au mythe

L’histoire de Philis de la Charce est cependant une invention, ou du moins une version enjolivée de la réalité. Elle a bien participé aux hostilités entre Savoyards et Français mais pas en tant que cheffe de guerre. Bien qu’elle ait pris les armes et rallié une partie des villages environnants, ce n’était pas contre des Savoyards mais contre des brigands qui cherchaient à profiter de l’instabilité de la guerre pour s’enrichir. La défense de la province est essentiellement l’œuvre du maréchal de Catinat et non d’une petite noble. Ce dernier n'a d'ailleurs jamais mentionné Philis dans ses correspondances avec le roi. Pour autant, Louis XIV a cherché, par l’histoire de Philis à remonter le moral des Français en leur donnant une héroïne populaire.

Estampe de philis de la charce par robert bonnart

Estampe de Philis de la Charce à cheval par Robert Bonnart (1695)

 

Une héroïne dauphinoise

Malgré les polémiques, l’histoire de Philis de la Charce a traversé le temps. En 1899, la ville de Nyons fait la commandeStatue de philis de la charce par david campagne d’une statue équestre à son effigie au sculpteur Daniel Campagne. Cependant, la ville ne peut pas répondre entièrement au prix demandé par le sculpteur et la statue est abandonnée en 1900. Trois ans plus tard, la ville de Grenoble décide de reprendre la commande et la statue est finalement achevée en 1913. On la retrouve aujourd’hui dans le jardin des Dauphins, à l’entrée de Grenoble, à proximité de la Porte de France. Elle fut à un moment vandalisée et perdit son sabre. Il faut attendre une restauration en 2008 pour que la statue retrouve son intégralité. À Nyons, une rue porte son nom depuis 1972.

L’histoire de Philis de la Charce, c’est à la fois celle d’une noble qui a cherché à dépasser son statue de femme de la petite noblesse mais aussi celle d’une femme combattante qui a su subvenir au manque d’homme de guerre dans son domaine. Même si elle n’a pas combattu sur les grands champs de bataille, elle a défendu ses terres et ses gens contre une menace ennemie.

Embellie ou non, cette histoire reste dans les mémoires comme celle d’une héroïne dauphinoise. Bien que les écrits à son sujet aient été pour la plupart perdus et son histoire oubliée, elle reste une figure d’importance à Nyons et à Grenoble.

 

 

 

 

Publié par Adrien RASATA, le 19/07/2022

A voir

Un film biographique sur Philis de la Charce est sorti en 2016. Mademoiselle de la Charce par Lionel Baillemont

Source

Ouvrages :

Terre d'Eygues - Spécial Philis de la Charce, Nyons, Société d'études nyonsaises, 1992

Articles internet :

Vidéos :

Crédits images :

  1. Portrait de Philis de la Charce par Frédéric Legrip (1856). © Réunion des musées nationaux - utilisation soumise à autorisation © Franck Raux. Disponible sur : https://www.pop.culture.gouv.fr/notice/joconde/000PE007117
  2. Photo du château de Charge par © supermomo99. Disponible sur : https://supermomo99.skyrock.com/3286809288-LA-DROME-PROVENCALE-LA-CHARCE-ET-SON-CHATEAU-Photo-SM99.html
  3. Portrait d’Antoinette des Houilières, auteur anonyme. Wikipédia Commons. Disponible sur : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Deshouli%C3%A8res.jpg
  4. Philis de la Charce dans Les femmes héroïques du Petit Journal. ©Centaus. Disponible sur : https://www.pinterest.fr/pin/femmes-hroques--476818679272526432/
  5. Portrait anonyme de Philis de la Charce. Source inconnue. Disponible sur : https://phcb.wordpress.com/2011/11/01/la-charce-et-la-vallee-de-loule/
  6. Estampe de Philis de la Charce à cheval par Robert Bonnart (1695). Disponible sur : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b84069305#
  7. Statue équestre de Philis de la Charce dans les jardins des Dauphins de Grenoble. Wikipédia Commons. Disponible sur : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Statue_de_Philis_de_La_Charce_2017-01-04.jpg

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