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Biographie Yasuke

Le Japon a pendant longtemps été un pays très peu ouvert sur l’extérieur. Aux XVe et XVIe siècles, l’archipel est en pleine guerre civile durant l’ère Sengoku Jidai ("âge du pays en guerre"). Il commence à commercer avec l’extérieur, notamment avec les Portugais qui ont construit un comptoir commercial à Nagasaki. Les contacts entre Japonais et étrangers sont relativement réduits malgré l’évangélisation par les Jésuites qui ont converti jusqu’à 200 000 personnes au XVIe siècle avant d’être pourchassés et exécutés. La société japonaise est assez hermétique et laisse peu de personnes extérieures y entrer. Mais un homme parvient quand même à le faire. Il devient bushi (guerrier) et a servi le daimyo (puissant seigneur terrien) Oda Nobunaga. Son histoire est extraordinaire car il se trouve que cet homme est noir et esclave. Son nom, Yasuke.

Son histoire est cependant parsemée d’incertitudes à cause d’un manque important de sources contemporaines, en particulier jésuites, et un oubli postérieur pendant plusieurs siècles. Cependant, il s’agit d’un personnage qui a réellement existé grâce aux témoignages des chroniques japonaises.

 

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Illustration de Yasuke par Anthony Azekwoh

 

Origines et vie chez les Jésuites

On ne connait pas son nom de naissance, ni quand, au milieu du XVIe siècle, ni où il est né exactement. Certains historiens avancent qu’il File:Alessandro Valignano 2.jpgviendrait de tribus habitant l’Éthiopie, ou le Soudan, tandis que d’autres penchent pour le Mozambique. Ce qui est certain, c’est que c’est sur les rives de ce dernier qu’il est vendu par des esclavagistes à des membres de la Compagnie de Jésus, les Jésuites. À bord d’un navire, il vogue ensuite jusqu’à la mission de Goa, en Inde où il reçoit une éducation chrétienne et apprend le christianisme. Sur place, il est un garçon à tout faire et, à l’occasion, garde du corps grâce à un physique avantageux. En effet, à l’âge adulte, il mesure plus de 1 m 80, un véritable colosse pour l’époque.

En 1577, il devient le serviteur du missionnaire et inspecteur italien Alessandro Valignano (portrait ci-contre). Il suit ce dernier durant une expédition dans les missions d’Asie. Ils passent par Malacca, Macao et termine leur voyage en 1579 au port d’Arima, près de Nagasaki, sur l’île de Kyushu, dans le sud-ouest du Japon. Sa taille et sa peau sombre en font une attraction pour les Japonais qui voient rarement des Noirs chez eux. Les Portugais et Jésuites ont déjà fait venir des esclaves mais leur faible nombre fait qu’ils sont toujours un sujet de curiosité pour les Japonais qui font parfois plus de 100 km pour les voir. L’esclave détonne notamment par sa taille, dans un pays où la taille moyenne est d’environ 1 m 55. Il domine ainsi d’une tête la majorité de la population. Durant ce séjour qui a duré deux ans, il s’est familiarisé avec la culture japonaise et maitrise la langue avec adresse. Il s’intéresse notamment aux samouraïs et à leurs techniques de combat.

 

                                                                                                         

Illustration représentant Yasuke parmi les Jésuites

 

Rencontre avec Oda Nobunaga

En 1581, Alessandro Valignano, son esclave et le reste de la compagnie font route vers la capitale du Japon, Kyoto, lieu de résidence du shogun, souverain de tout l’archipel. File:Odanobunaga.jpgLà encore, l’esclave attire les foules qui se pressent jusqu’à l’auberge pour apercevoir cet homme à la peau noire. Selon une chronique, les gens se seraient tellement appuyés contre la porte de la chambre qu’elle en serait tombée. Le succès est tel, que les Jésuites n’hésitent pas à faire payer l’entrée pour voir le géant.

L’agitation et les rumeurs arrivent jusqu’aux oreilles du daimyo Oda Nobunaga (portrait ci-contre), le plus puissant seigneur du moment. Déjà connu pour être un amateur de cultures et d’objets étrangers, il s’habille avec des vêtements européens et mangent parfois des plats européens, il ne peut pas manquer un tel spectacle. Sur place, la surprise est totale. Mais Nobunaga suppose un leurre et demande qu’on lave le géant pour voir s’il n’a pas été peint ou recouvert d’encre ou de suie. Après avoir frotté pendant de longues minutes sans aucun résultat, Nobunaga est bien obligé de reconnaitre que la peau de cet homme est noire. Émerveillé, le Japonais négocie avec Valignano pour obtenir l’esclave. Ce dernier accepte et repart ensuite pour Arima et l’Inde. Notre homme est désormais la propriété de Nobunaga qui lui donne un nom qui entre alors dans l’histoire, Yasuke.

Au service du seigneur Oda

Très fier de son acquisition, Nobunaga n’hésite pas à parader dans Kyoto avec Yasuke pour le montrer à toute la population. Ce dernier ne quitte plus le daimyo et le suit toute la journée. Il participe à ses entrainements et à ses repas, privilège réservé à une élite très réduite. Son adresse dans le maniement des armes lui vaut l’admiration des courtisans de Nobunaga. Yasuke aurait, selon les dires de Nobunaga, la "force de dix hommes". Il lui offre même un sabre de cérémonie ainsi qu’une armure complète avec sabres et lance et une maison avec des terres. Ultime honneur, Yasuke devient le porteur de la lance de son seigneur, un acte qui montre définitivement son lien avec Nobunaga. Il accompagne son seigneur sur le champ de bataille comme à Tenmokuzan en 1582 où il participe aux combats et aide à vaincre et anéantir le clan rival des Takeda.

Il est fait bushi, c’est-à-dire guerrier. Selon l’historien et professeur à la Nihon University, Thomas Lockley, il aurait même été fait samouraï. Cela reste peu probable compte tenu de son origine non-japonaise. De plus, avoir le statut de samouraï signifie faire partie d’une caste restreinte, comparable à la noblesse combattante européenne, avec des droits mais surtout des devoirs. Les paysans pouvaient devenir samouraïs après s’être illustrés lors des batailles mais beaucoup ont gardé le seul statut de « bushi », moins contraignant.

Au sein de la cour Oda, Yasuke a su se distinguer grâce à sa maîtrise du japonais. Il est en très bons termes avec son seigneur, certains historiens affirment même qu’ils étaient amis, voire amants, l’homosexualité n’étant alors pas un tabou, même si aujourd’hui c'est très discuté. S’il parvient à obtenir la sympathie de certains courtisans comme Tokugawa Ieyasu, il est détesté par d’autres qui le voient comme un étranger, voire un sous-homme, à l'image d'Akechi Mitsuhide.

 

Honnô-ji et Nijô

Le 21 juin 1582, Oda Nobunaga rentre de campagne et décide de se retirer, en secret et avec une petite escorte, au temple bouddhique de Honnô-ji, aux abords de Kyoto. Yasuke fait partie des quelques hommes chargés de la protection du daimyo. Le soir, alors que le camp est calme, Oda Nobunaga est attaqué par les forces rebelles d’un de ses fidèles lieutenants, Akechi Mitsuhide, qui le tient pour responsable de la mort de sa mère, décédée quelques temps auparavant. En grande infériorité numérique, Yasuke et la garde ne parviennent pas à retenir leurs assaillants. Acculé, Nobunaga est contraint au suicide, il doit faire seppuku afin de se préserver de la honte de la défaite. De son côté, Yasuke parvient tant bien que mal à se frayer un chemin à travers les rangs de Mitsuhide, prend un cheval et galope jusqu’au château de Nijô où se trouve le fils de Nobunaga, Nobutada. Le journaliste et écrivain franco-ivoirien Serge Bilé, affirme que Yasuke a également voulu se suicider mais que Nobunaga l’a poussé à partir et à sauver sa vie.

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Attaque du temple d'Honnô-ji et fuite de Yasuke dans le livre pour enfant, Kuro-suke de Kurusu Yoshio (1968)

 

Mitsuhide, après avoir vaincu le père, se tourne vers le fils afin d’anéantir la lignée des Oda et éviter toute revanche. Il met le siège devant le château de Nijô et terrasse les défenses de Nobutada. Ce dernier est également obligé de se suicider. Yasuke est fait prisonnier mais Mitsuhide décide de ne pas l’exécuter comme un samouraï car pour lui, il n’est pas un homme mais un animal ignorant, mettant en avant ses origines non-japonaises. Yasuke est ensuite jeté du camp et l’histoire perd sa trace à partir de là.

Nul ne sait ensuite ce qu’il s’est passé pour Yasuke car les chroniques ne mentionnent pas la fin de sa vie. Il aurait pu errer dans le Japon ou fut peut-être ramené à la mission jésuite. Plusieurs hypothèses sont avancées mais la vérité est sans doute à jamais oubliée par manque de source.

 

Oubli, renaissance et création de la légende du "samouraï noir"

L’histoire de Yasuke tombe ensuite dans l’oubli pendant presque 400 ans. Ce n’est qu’en 1968 qu’il refait surface, au sein d’un livre pour enfant, Kuro-suke, (kuro veut dire noir en japonais) par Kurusu Yoshio. L’œuvre s’organise comme un récit biographique afin d’enseigner l’histoire à la jeunesse japonaise. A partir de ce moment-là, Yasuke devient un personnage populaire pour les enfants qui l’appelle parfois Kuro-sanImage (« Monsieur Noir »). Au cours des années 2000, le personnage de Yasuke se retrouve de plus en plus dans la culture populaire, en particulier en littérature comme dans le manga Afro Samouraï de Takashi Okazaki (2007), la bande dessinée Kurusan, le samouraï noir de Thierry Gloris (2021) ou bien dans le jeu vidéo Nioh (2015). En 2021, Netflix adapte dans une série fantastique l’histoire de Yasuke au sein d’un Japon alternatif. En 2019, un film biographique était en cours de conception avec Chadwick Boseman dans le rôle de Yasuke. La mort de l’acteur a mis en arrêt la production.

Il est également au cœur d’une réappropriation culturelle, notamment par des artistes et créateurs afrocentristes. Des œuvres d’art comme les sculptures de l’artiste sud-africain Nicola Roos en 2015 (ci-contre avec le modèle Aaron Melunga) ou bien l’album Yasuke du groupe IAM mettent à l’honneur l’histoire et l’héritage du personnage. En 2018, il est le sujet d’une exposition au Cameroun. Yasuke est aussi au cœur d’un regain d’intérêt scientifique avec la parution d’ouvrages comme celui du journaliste Serge Bilé, Yasuke (2018) et celui de Thomas Lockley, African Samurai : The true story of Yasuke, a legendary black warrior in feudal Japan (2019).

Par abus de langage, Yasuke est devenu le « samouraï noir », le premier étranger, et le seul Noir, à entrer dans la caste de ces guerriers japonais. La vie de Yasuke inspire car elle est une suite de rebondissements et d’opportunités digne d’une roman. L’esclave devenu un protégé du plus grand seigneur de guerre du Japon a de quoi donner envie à la jeunesse japonaise et à celle du reste du monde.

 

 

Publié par Adrien RASATA le 21/11/2021

Sources et sitographie

Articles internet :

Articles de presse :

Vidéos YouTube :

Crédits image :

1) Illustration représentant Yasuke par Anthony Azekwoh. Disponible sur : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Yasuke_by_Anthony_Azekwoh.jpg
2) Portrait d'Alessandro Valignano, vers 1599. Artiste inconnu. Disponible sur : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Alessandro_Valignano_2.jpg
3) Illustration représentant Yasuke parmi les Jésuites. Artiste inconnu. Disponible sur : https://www.demotivateur.fr/article/yasuke-l-esclave-africain-devenu-le-premier-samourai-noir-du-japon-14265
4) Portrait d'Oda Nobunaga par Kanō Sōshū (1551 - 1601), fin du XVIe siècle. Disponible sur : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Odanobunaga.jpg
5) Illustration du livre pour enfant, Kuro-suke, par Kuruso Yoshio, 1968, Disponible sur : https://yasuke-san.com/the-japanese-childrens-book-on-yasuke-%e5%bc%a5%e5%8a%a9/
6) Publication Twitter de Nicola Roos du 9 mai 2017 présentant la statue de Yasuke avec le modèle Aaron Melunga. Disponible sur : https://twitter.com/nicolaroos94/status/862023507206713344

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