Biographie Tomoe Gozen

L’histoire du Japon regorge de mythes guerriers et de samouraïs légendaires, mais il existe très peu de femmes guerrières. La tradition patriarcale du Japon ne leur laisse que peu de place sur le champ de bataille et les cantonne à des rôles domestiques. Pour autant, elles n’en sont pas exclues et participent parfois pleinement à l’effort de guerre. Il existe ainsi plusieurs exemples de femmes à travers les siècles d’histoire nippone qui ont revêtu l’armure des samouraïs, prouvé leur bravoure au combat et leur maîtrise des arts martiaux. Voici l’une des plus célèbres, Tomoe Gozen.

 

Tomoe gozen par yoshitoshi

Tomoe Gozen par le peintre Yoshitoshi, dans Kokon Hime Kagami (Miroir des beautés passées et présentes) (1875-1876)

 

Une femme destinée à la vie guerrière

Tomoe Gozen, ou dame Tomoe, naît aux alentours de 1160, Tomoe gozen par kangetsu shitomià la fin de la période Heian (794 – 1185), dans une famille de guerriers (les bushis ou samouraïs par abus de langage). Comme la plupart des femmes de clans de samouraïs, elle reçoit très jeune une éducation martiale poussée afin de protéger son foyer lorsque son mari est parti. Elle apprend le maniement de la lance à lame courbe, la naginata (représentée ci-contre et ci-dessus), l’arme privilégiée des femmes samouraïs car elle permet de maintenir à distance leur assaillant tout en ayant le tranchant d’une lame de katana. Tomoe excelle aussi dans le maniement de l’arc et du sabre (kenjustsu) et peut également monter à cheval. Elle est de son vivant reconnue comme femme guerrière ou onna-musha.

Elle se marie avec un autre samouraï, Kiso no Yoshinaka qui reconnaît ses prouesses et l’amène avec lui sur le champ de bataille, où elle commande en tant que seconde. Selon le Heike Monogatari, ou Dit du Heike, seule source écrite qui nous retrace l’histoire de Tomoe, sa maîtrise des armes et ses capacités de commandement lui permettent d’égaler la force de mille hommes. Elle se distinguerait également par sa beauté sans pareille, une peau blanche et aux cheveux d’un noir resplendissants, auxquels s’ajoute une grâce inégalée au quotidien.

 

La guerre de Genpei, construction de la légende de Tomoe Gozen

Avec son mari, Tomoe est impliquée dans une guerre civile pour le contrôle du Japon et le trône impérial, la guerre de Genpei (1180 – 1185). Yoshinaka fait en effet parti d’un des clans belligérants, les Minamoto, qui se sont révoltés contre le clan Taira qui occupait les plus hautes fonctions de l’administration impériale. De plus, Yoshinaka est le cousin du chef du clan, Minamoto no Yoritomo. Après plusieurs défaites, ce dernier appelle son cousin à l’aide qui accourt et s’avère être un excellent chef de guerre.

Tomoe et Yoshinaka deviennent les champions des Minamoto. Durant la guerre, Tomoe s’illustre à maintes reprises mais le récit des événements, le Dit du Heike, est très romancé, enjolive certains passages et remet en cause leur historicité. Il n'y a donc pas de source sûre sur l'implication de Tomoe dans le guerre de Genpei.

Tomoe gozen par yoshu chikanobu 1899

Tomoe Gozen contre Uchida Ieyoshi et Hatakeyama Shigetada, par Yôshû Chikanobu (1899)

En 1181, Tomoe est présente à la bataille de Yokotagawara et s’illustre en terrassant 7 samouraïs. Comme preuve de son exploit, elle ramène les têtes de chaque ennemi à son mari. La décapitation, bien qu’elle paraisse barbare pour les Européens, est une pratique courante au Japon car les soldats étaient payés suivant le nombre d’ennemis tués. De plus, si l’ennemi est connu, la personne qui présente sa tête au chef de l’armée reçoit tous les honneurs et la renommée de son adversaire. Elle peut de cette façon acquérir de la renommée, le fantassin peut être engagé par un seigneur et un petit seigneur peut devenir plus grand. Une fois le décompte terminé, les têtes étaient inhumées lors d’une cérémonies pour permettre aux défunts de reposer en paix.

En 1183, avec un millier d’hommes, elle remporte la bataille de Kurikara contre une armée Taira bien supérieure. L’année suivante, elle est de nouveau victorieuse à Uchide no Hama en menant 300 guerriers contre 6 000 Taira. Après un dur combat, elle fait partie des 5 survivants de son détachement qui a fait fuir l’ennemi.

Tomoe gozen a kurikara 2Tomoe Gozen à la bataille de Kurikara

 

La rébellion de Yoshinaka et la fin de Tomoe Gozen

Devenu trop gourmand à cause de ses victoires, Yoshinaka veut prendre la tête du clan Minamoto et entre en rébellion contre Yoritomo. En 1184, les deux seigneurs se rencontrent à Awazu. En infériorité numérique, Yoshinaka est dépassé et mortellement blessé par une flèche. Mourant, il fait venir Tomoe et lui ordonne de s’enfuir. Les raisons de Yoshinaka pour un tel ordre sont encore obscures. Il a pu vouloir protéger sa femme de la mort, du déshonneur de la défaite ou par peur de ce que ses ennemis allaient lui faire s’ils la prenaient vivante. Il est également possible que Yoshinaka n’ait pas supporté l’idée de mourir à côté d’une femme. Tout est possible.

Tomoe gozen a awazu par utagawa yoshikazuTomoe Gozen à la bataille d'Awazu, par Utagawa Yoshikazu

La suite de la bataille est encore plus mystérieuse car on ne sait pas ce qu’il est advenu de Tomoe et plusieurs légendes existent et offrent différentes possibilités. Offensée par les propos de son mari, elle aurait continué à se battre à ses côtés jusqu’à succomber elle aussi. Selon une autre légende, elle aurait accepté de s’enfuir et serait devenue nonne ou se serait remariée. Selon une dernière version, elle aurait accepté de s’enfuir mais pas sans un dernier combat. À cheval, elle aurait galopé jusqu’aux lignes ennemies, aurait vaincu un samouraï, un certain Uchida Ieyoshi, en le faisant chuter de son cheval avant de lui briser la nuque, de le décapiter et de jeter la tête dans la rivière. Une fois échappée, elle aurait délaissé son armure et disparu à l’horizon. Suivant les scénarios, Tomoe aurait soit disparu soit vécu une vie calme et apaisée jusqu’à sa mort à 90 ans. Nul ne sait vraiment ce qu’il s’est passé après la mort de Yoshinaka à Awazu.

Tomoe gozen a awazu tuant le samourai uchida ieyoshiTomoe Gozen tuant Uchida Ieyoshi à Awazu, Yôshû Chikanobu (1899)

 

Postérité du mythe de Tomoe Gozen

L’histoire de Tomoe Gozen a traversé les siècles et a inspiré de nombreux récits et légendes. Elle symbolise à elle seule la bravoure, le dévouement et l’honneur du guerrier selon la tradition japonaise. Sa maîtrise sans pareille des arts martiaux rivalise avec celle des plus grands samouraïs qui peupleront le Japon des siècles à venir. Il existe également d’autres femmes guerrières comme Hangaku Gozen, une contemporaine de Tomoe Gozen mais au sein du clan Taira, ou encore Nakano Takeko ou Hôjô Masako. En plus d’être une onna-musha, Tomoe Gozen est aussi une femme de la noblesse, elle a le droit de porter le titre d’onna-bugeisha, ce qui la différencie des femmes du peuples ayant combattu en tant que fantassins. Afin d'entretenir son souvenir, une statue du couple de guerriers en bronze a été érigée dans le village de Kiso (préfecture de Nagano), lieu de naissance de Yoshinaka. Plusieurs temples affirment également détenir la tombe de la guerrière, comme ceux de Gichuji et Tokuonji, même si le lieu précis est aujourd'hui inconnu, ces affrimations témoignent du prestige qu'il y a à être relié à celle qui équivalait une armée de 1 000 hommes.

Tomoe gozen et kiso no yoshinaka a kiso

Statue de Tomoe Gozen et Kiso no Yoshinaka à Kiso (préfecture de Nagano, Japon)

Son histoire et sa légende ont ensuite été reprises dans de nombreuses œuvres à travers le temps, en premier lieu le théâtre. Dès le XVe siècle, le théâtre No, un art dramatique né durant le Japon féodal, reprend l'histoire de Tomoe et n'hésite pas à retravailler l'histoire, notamment en lui donnant un rôle de fantôme venu hanter Yoshinaka et sa tombe, dans une pièce qui porte le simple nom de Tomoe. Plus tard, c'est au touTomoe gozen au jidai matsurir du théâtre kabuki de reprendre cette histoire avec la pièce Onna Shibaraku. Ces deux pièces sont encore jouées aujourd'hui en certaines occasions, preuve de la longétivité de Tomoe Gozen dans les esprits. Cette dernière a également sa place dans la culture populaire. De nombreux mangas, romans, films et jeux vidéo utilisent des représentations de Tomoe Gozen à travers des personnages plus ou moins historiques. Elle arrive même sur les téléphones avec le jeu de stratégie et de gestion historique Rise of Kingdom, où elle est l'un des nombreux héros de la faction japonaise.

Il est enfin possible de rencontrer la femme samouraï lors du festival de Kyoto Jidai Matsuri (Festival des Âges) qui reprend les temps forts et les grandes figures du Japon féodal. Tous les 22 octobre, la ville est traversée par une procession de plusieurs milliers de personnes en costumes d'époque dont une femme déguisée en Tomoe Gozen, maquillée en femme de cour mais habillée d'une armure et portant les armes (voir ci-contre).

 

 

Publié par Adrien RASATA le 07/06/2022

Sources

Ouvrages :

Civardi O. (2021) Le Japon des femmes, du IIe siècle à nos jours, Nuinui, Paris

Articles internet :

Vidéos YouTube :

  • Femmes guerrières japonaises – DOCUMENTAIRE Samouraï féminin [en anglais], par la chaîne Kings & Generals, mise en ligne le 1er juin 2021 [en ligne] [visionnée le 07/06/2022] Disponible sur : https://youtu.be/FCBMbq_y9Hk
  • Figures du Japon – Tomoe Gozen, par la chaîne Une renarde du Japon, mise en ligne le 7 octobre 2019 [en ligne] [visionnée le 07/06/2022] Disponible sur : https://youtu.be/o9Fn1dpv7_w
  • Tomoe Gozen : La femme samurai la plus dangereuse du Japon, par la chaîne LeaBazzar, mise en ligne le 2 août 2021 [en ligne] [visionnée le 07/06/2022] Disponible sur : https://youtu.be/Hea5JANkeE8

Crédits images :

  1. Tomoe Gozen par Yoshitoshi (1875-1876) dans une compilation de portraits féminins, le Kokon Hime Kagami (Miroir des beautés passées et présentes). Disponibles sur : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Kokon_hime_kagami_Tomoe_onna_by_Tsukioka_Yoshitoshi.jpg
  2. Tomoe Gozen à cheval, par Kangetsu Shitomi (période Edo), présente au Musée national de Tokyo, Disponible sur : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Tomoe-Gozen.jpg
  3. Tomoe Gozen combattant Uchida Ieyoshi et Hatakeyama Shigetada, par Yôshû Chikanobu (1899). Disponible sur : https://www.wikiwand.com/en/Tomoe_Gozen
  4. Tomoe Gozen à la bataille de Kurikara. Auteur inconnu. Disponible sur : https://cours-de-japonais.com/tomoegozen/
  5. Tomoe Gozen à la bataille d’Awazu, par Utafawa Yoshikazu (période Edo). Disponible sur : https://www.wikiwand.com/en/Tomoe_Gozen
  6. Tomoe Gozen tuant Uchida Ieyoshi à Awazu, par Yôshû Chikanobu (1899). Disponible sur : https://art.thewalters.org/detail/29235/woman-warrior-tomoe-gozen-kills-ieyoshi/
  7. La geiko (ou geisha) Fukuteru habillée et maquillée en Tomoe Gozen lors du festival Jidai Matsuri. Disponible sur : https://www.ulyces.co/longs-formats/la-femme-samourai-qui-valait-mille-soldats/
  8. Statues de Tomoe Gozen et Kiso no Yoshinaka dans le villagede Kiso, sculpteur inconnu. Disponible sur : https://www.pinterest.fr/pin/206602701639026136/
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