Le hangeul

En 1443, le roi de Corée Sejong le Grand (roi de 1418 à 1450), le cinquième roi de la dynastie Joseon, bouleverse la société de son temps. Il met en place une véritable révolution culturelle en créant un nouvel alphabet pour les Coréens, le hangeul, qui vient remettre en place une tradition pluricentenaire, celle des caractères chinois. Retour sur l'histoire d'un système d'écriture innovant et qualifié par les linguistiques comme l'un des plus simples à apprendre de la planète.

Lettres hangeul

Le système existant des hanja

Depuis le VIe siècle, la Corée et la culture coréenne se calquent sur le modèle chinois, symbole du raffinement de l’époque. L’influence est telle, que la langue coréenne est uniquement écrite grâce à des caractères chinois, les hanja. La connaissance des lettres était alors le privilège d’une très fine élite sociale, face à une très large majorité de la population paysanne et analphabète. Les hanja sont utilisés et maîtrisés uniquement par l’aristocratie, les intellectuels et les membres de l’administration royale, inspirée du système des mandarins chinois. Cette part de la population garde jalousement l’accès aux textes afin de se démarquer du reste de la population.

Il existe cependant un problème dans l’utilisation des hanja. Ces caractères chinois sont faits pour la langue chinoise et, bien que pouvant retranscrire le coréen, ils ne le font pas fidèlement et peuvent occasionner des confusions et des erreurs de traduction, notamment pour les personnes ne maitrisant pas les hanja lorsqu’il fallait produire un document écrit. Il existait, d’une certaine façon, deux coréens, la version orale et la version écrite.

Le roi Sejong, en voyant que ce monopole de la culture par une petite élite empêche un meilleur développement de son royaume, veut offrir à son peuple une culture commune afin de l’aider à élever son pays en retour.

Roi sejong le grand

Portrait du roi Sejong le Grand (1397 - 1450)

 

Constitution du nouvel alphabet, le premier hangeul

Pour son nouvel alphabet, il s’inspire de la culture confucéenne et des sciences pour concevoir non pas des Voyelles et consonnes en hangeulcaractères mais des lettres, en s’inspirant des alphabets latins. Contrairement à ces derniers, dont la pronociation des lettres varient suivant les langues, il met sur pied un système de symboles où chaque lettre correspond à un seul et même son. Les mots coréens sont ainsi écrits de manière phonétique et non plus à travers des idéogrammes pouvant apporter des imprécisions dans leur interprétation.

Bien que ce projet serve au développement de la Corée, Sejong travaille en secret. Ses courtisans protègent jalousement leur privilège linguistique et n’acceptent pas que la populace s’élève au même rang qu’eux. Choi Man-ri, l’un des collaborateurs de Sejong, l’informe de ce refus et argue que seuls les barbares écrivent avec leur propre langue et non celle des Chinois. Cette nécessité de travailler dans le secret a pour conséquence une divulgation après plus de trois ans de réflexion.

Le 9 octobre 1446, le roi promulgue enfin un décret où il énonce la nouvelle réforme linguistique. Son alphabet, le hunminjeongeum (ou hunmin jongum - 훈민정음/訓民正音), littéralement, « les sons corrects pour l’éducation du peuple », comporte 28 lettres, les jamos. 4 disparaissent rapidement et sur les 24, on trouve 14 consonnes et 10 voyelles, auxquelles peuvent être rajoutées des consonnes et voyelles doubles qui font monter le nombre de jamos à 40.

Ces lettres s’inspirent de symboles simples mélangeant des points et des traits horizontaux ou verticaux symbolisant respectivement (le soleil, la terre et l’homme reliant les deux premiers). De plus, pour construire les consonnes, Sejong a imaginé des symboles représentant la position de la langue ou des lèvres lorsque l’on prononce un son. Les consonnes et voyelles se combinent ensuite en bloc pour former syllabes et mots complets.

Ce caractère « scientifique » du hunmin jongum le différencie des autres langues et permet au roi d’affirmer la simplicité de l’apprentissage de son alphabet, pouvant s’étaler de quelques heures à quelques jours, pour les moins assidus. Les linguistes actuels jugent le nouvel alphabet comme l’un des plus faciles à apprendre à travers le monde.

 

Postérité de l'œuvre de Sejong

Malgré les critiques des courtisans, qui le qualifient parfois de langue du « peuple » de manière péjorative, le hunmin jongum se propage rapidement dans le royaume. Il devient la langue d’écriture des textes officiels, littéraires et scientifiques. Cependant, en 1504, le roi Yeonsangun promulgue un décret interdisant la pratique et l’apprentissage Portrait de Ju Si-geyong (1915)de cet alphabet et redonne aux hanja leur place perdue. Deux ans plus tard, son successeur Jungjong poursuit cette politique en fermant le ministère chargé des langues vernaculaires. L’œuvre de Sejong est donc désormais mise à l’index. Le hunmin jongum ne survit que grâce à la résistance d’une partie de la population qui continue de l’enseigner à leurs enfants en cachette et à la littérature féminine, qui ne possède pas les mêmes codes que son homologue masculine. Par la même occasion, c’est à partir du XVIe siècle que se crée un important ensemble d’œuvres de femmes en langue coréenne.

Le hunmin jongum ne refait surface qu’à la toute fin du XIXe siècle, en 1894. La Corée est alors secouée par une influence japonaise de plus en plus présente dans la région due aux débuts de l'impérialisme nippon. Faisant pression sur la monarchie, le Japon parvient à faire abolir les caractères chinois en Corée et à instaurer leur remplacement par le hunmin jongum. Les Coréens parlent et écrivent de nouveau en coréen, ici le coréen moderne. En 1912, le hunmin jongum change de nom pour celui que l’on connaît aujourd’hui, « hangeul » (한글), signifiant « grande écriture », (han) grand et (geul) écrire, grâce au travail de Ju Si-geyong (portrait ci-contre). Certains avancent que le nom fait aussi référence au nom coréen de la Corée Hanguk, mais rien n’est sûr.

 

Le hangeul de nos jours

Le hangeul survit ensuite à l’occupation japonaise durant le premier XXe siècle et à la guerre de Corée (1950-1953) et s’installe durablement dans les pratiques courantes. Du fait de sa naissance avant la séparation de la péninsule par la guerre, le hangeul est présent dans les deux Corée, même s’il prend le nom de chosongeul au-delà du 38e parallèle. Dans la seconde moitié du XXe siècle, le hangeul, bien qu’officiellement langue officielle, cohabite encore avec des restes de caractères chinois dans certains secteurs, en particulier la presse. Il faut par exemple attendre 1995 pour les hanja disparaissent des journaux. Dans les écoles, des cours de calligraphie chinoise sont encore dispensés de nos jours afin de rappeler aux jeunes générations leur héritage culturel.

Caractéristique particulière du hangeul, sa construction phonétique lui permet de s’adapter facilement aux autres langues et d’importer des mots étrangers, notamment anglais avec l’américanisation de la société durant la guerre froide. Plusieurs mots anglais, en particulier ceux liés aux nouvelles technologies, comme le wifi ou internet, font leur apparition dans la langue coréenne.

Rue marchande avec enseignes en hangeul

Avec l’essor de la culture coréenne, le hangeul fait l’objet d’une adaptation en langue latine, la romanisation. Plusieurs systèmes de transcription sont mis sur pied à partir des années 1980, lorsque la croissance économique coréenne commence à rayonner en Asie et dans le monde. Le dernier système en date pour le français date de 2000.

Si au départ le hangeul fut le projet d’un roi pour son peuple, il est aujourd’hui le symbole d’une Corée du Sud grandissante, qui exporte son influence, sa culture et son histoire au-delà de ses frontières. En mémoire du travail du roi Sejong, ses commentaires sur le hunmin jongum, Hunminjeongeum Haryebon, publié en même temps que son nouvel alphabet en 1446, intègre le patrimoine mondial de l’UNESCO en 1997. Pour ses efforts dans l’essor de la Corée, une statue du roi (voir ci-dessous) a été érigée sur la place Gwanghwamum à Séoul, l’une des grandes artères de la ville, à proximité de la statue de Yi Sun-sin, un autre héros national. Sejong obtient également la publication de son portrait sur les billets de 10 000 wons. D’autre part, le 9 octobre, date de promulgation du décret, est, depuis, devenue fête nationale.

Statue du roi sejong le grandHappy Hangul Day Vector Template Design Illustration Stock ...

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Publié par Adrien RASATA, le 06/02/2022

Sources

Ouvrages :

  • Dayez-Burgeon P., Histoire de la Corée, des origines à nos jours, Collection Texto, Tallandier, Paris, 2017, 2e édition, pp 79-87

Articles internet :

Vidéos YouTube :

  • La Corée a conçu un meilleur alphabet – Histoire des systèmes N°11 (système à traits) (en anglais), par la chaîne NativLang, mise en ligne le 23 octobre 2015 [en ligne] [visionnée le 04/02/2022] Disponible sur : https://youtu.be/j9hzK0K1L4I
  • The History of Hangul : Why is the Korean Alphabet So Easy to Learn ? |Wookong, par la chaîne Wookong, mise en ligne le 23 novembre 2020 [en ligne] [visionnée le 04/02/2022] Disponible sur : https://youtu.be/9PsqFr7AXk0
  • World’s Easiest Writing System : Origin of Hangul (corrections in the description), par la chaîne Xidnaf, mise en ligne le 24 janvier 2014 [en ligne] [visionnée le 04/02/2022] Disponible sur : https://youtu.be/K53oCDZPPiw

Crédits images :

  1. Illustration de lettres hangeul, auteur inconnu. Disponible sur : https://langues-asiatiques.com/alphabet-coreen-hangeul/
  2. Portrait du roi Sejong le Grand, auteur inconnu. Disponible sur : https://chine.in/guide/sejong_3718.html
  3. Tableau des voyelles et consonnes coréennes, auteur inconnu. Disponible sur : https://id.pinterest.com/pin/393150242441940862/
  4. Portrait de Ju Si-gyeong, auteur inconnu. Disponible sur : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Ju_Si-gyeong_1876-1914_portrait_from_%E5%91%A8%E6%99%82%E7%B6%93%E5%85%88%E7%94%9F%E9%81%BA%E7%A8%BF.png
  5. Rue marchande avec des enseignes en lettres hangeul. Auteur inconnu. Disponible sur : https://www.quora.com/What-is-the-status-of-Chinese-characters-Hanja-in-Korean-writing-today
  6. Statue du roi Sejong sur la Gwanhwamum Plaza à Séoul. Auteur inconnu. Disponible sur : http://cea.uanl.mx/dia-del-hangul-9-de-octubre/
  7. Affiche promotionnelle pour le jour du Hangeul en Corée du Sud. ©Ahmad Trobini. Disponible sur : https://www.dreamstime.com/happy-hangul-day-vector-template-design-illustration-happy-hangul-day-vector-template-design-illustration-image141062658
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