Biographie Yi Sun-sin

Yi Sun-sin est un nom presque inconnu en Europe mais de l’autre côté du globe, en Corée et au Japon, il est vu comme un amiral coréen de renom. Il est d'ailleurs souvent comparé à l’amiral britannique Horacio Nelson, vainqueur de la bataille de Trafalgar (1805) contre l’empereur Napoléon. Chef de guerre invaincu, il a lutté des années durant contre les Japonais lorsque ces derniers décident d’envahir la péninsule coréenne pendant la guerre d’Imjin (1592 – 1598). Retour sur un homme qui a marqué son temps par sa force de caractère et ses victoires sur le champ de bataille, hier comme aujourd'hui.

Yi Sun-sin (Yi : nom de famille) naît à Hanseong, aujourd’hui au sein de la métropole de Séoul, en 1545, au sein d’une famille fortunée de magistrats. Destiné à une carrière de magistrats lui aussi, voie royale pour acquérir prestige et renommée dans la Corée de l’époque, il débute plutôt à 20 ans un apprentissage martial en apprenant l’équitation, le tir à l’arc et les arts martiaux. Il rêve d’une carrière militaire et d’exploits guerriers.

En 1572, il s’inscrit à l’examen pour devenir officier dans l’armée. Alors qu’il passait une épreuve à cheval, il tombe et se fracture la jambe. Il aurait alors rampé jusqu’à un arbre à proximité, arraché deux branches pour en faire une attelle et continué l’épreuve, mais, malheureusement, il n’est pas retenu. Il retente sa chance quatre ans plus tard et réussit.

Sa première affectation a lieu sur la frontière nord de la Corée, afin de protéger le royaume des raids des Jurchens, un peuple nomade venu de Mandchourie qui ravageait la région. Il arrive en 1580 et trouve un territoire où tout manque : les hommes, les ressources, les routes et un commandement efficace. L’armée, et plus généralement le pouvoir coréen à cette époque, est marquée par la corruption en favorisant le clientélisme. Les enfants de la noblesse étaient emmenés dans ces régions où ils gravissaient les rangs et n'avait rien à faire. Refusant de privilégier certains officiers, Yi s’attire les foudres de la noblesse et de ses supérieurs. Bien qu’il parvienne à capturer un chef jurchen en 1583, Mu Pai Nai, il est accusé en 1586, dans un complot organisé par des officiers rivaux, de désertion et de trahison après une escarmouche perdue contre des Jurchens où Yi Sun-sin, avec une dizaine d'hommes, combattait contre plus d’une trentaine d’ennemis. Il est arrêté, mis en prison et torturé. Il parvient à plaider sa cause devant un tribunal en accusant son officier supérieur de laxisme quant aux défenses trop légères des forts frontaliers. Innocenté, on lui retire tout de même son grade et il réintègre l’armée au plus bas de l’échelle, en simple fantassin.

Malgré sa rétrogradation, ses capacités à diriger des hommes lui permettent de gravir rapidement les échelons. Ainsi, en 1591, il quitte le nord pour devenir amiral des côtes de Jeolla, une province du sud-est de la péninsule coréenne. Il n’a aucune expérience de la mer ni de la guerre maritime mais ça ne l’inquiète pas outre-mesure.

Il installe ses quartiers à Yeosu et commence à réorganiser sa troupe et ses navires. Habituée aux raids de pirates japonais (les wakō), la marine coréenne s’est construite par le feu et les combats. Elle a développé des navires de guerre robustes, les panokseon, avec un pont ouvert et deux voiles rectangulaires, capables de voguer en haute mer. À côté, la marine se compose de navires légers servant à la patrouille et aux escarmouches. Lorsque Yi arrive, il débute la réforme de la marine en ramenant sur le devant de la scène, un ancien navire du début du XVe siècle, le bateau-tortue, ou keobuk-seon, dont les premières traces remontent à 1415 mais il fut oublié ensuite. Yi parvient à ce titre à obtenir les services d’un armateur connaissant le koebuk-seon. Ce navire a la particularité d’être le premier cuirassé de l’histoire, bien avant les modèles européens qui apparaissent au XIXe siècle. Il n’a pas de pont et ses flancs sont protégés par d’épais murs de bois où se trouvent des ouvertures pour des canons, environ 40, et des meurtrières d’arquebuses. Il possède une tête de dragon à l’avant qui peut servir de canon à l'occasion. Pour éviter les abordages, spécialité des Japonais, il est recouvert d’un toit en plaques hérissé de piques. Il possède également deux voiles et des rames qui s’alternent suivant les situations. Le koebuk-seon est, pour ainsi dire, une véritable forteresse flottante, redoutable contre les navires japonais.

Reconstitution d'un bateau-tortue utilisé par Yi Sun-sin au Mémorial de la guerre de Corée à Séoul

En 1592, Toyotomi Hideyoshi, régent du Japon, déclenche la guerre d’Imjin (« guerre de l’année du dragon ») afin de faire de la Corée une tête de pont pour aller jusqu’en Chine. Il prépare une invasion avec 1 700 navires, dont de puissants navires forteresses avec des tours de guerre, les Nihon Maru (illustration ci-dessous), et 200 000 hommes, parmi eux, de nombreux samouraïs. L’armée d’invasion ne rencontre au départ aucune résistance digne de ce nom en mer et débarque à Busan. En moins d’un an, elle fait son chemin jusqu’à Hanyang, capitale de la Corée, aujourd’hui Séoul. Si les Japonais s’avèrent victorieux sur terre, sur les mers, c’est une tout autre histoire. 

Affrontement entre un navire forteresse japonais et un bateau-tortue coréen lors de la bataille d'Angolpo (1592)

Le 8 ou le 9 mai, l’amiral Yi surprend une flotte japonaise de 70 navires amarrés dans la baie d’Okpo, avec une soixantaine de navires de son côté. Les Japonais ont accosté et sont allés piller les villages. Lorsque les premiers coups de canons de Yi se font entendre, les envahisseurs courent jusqu’à leurs navires. Yi a bien préparé son coup et presque l’ensemble de la flotte japonaise est coulé ce jour-là. En légère infériorité numérique, la puissance de feu des Coréens s’est révélée supérieure. Exploit notable, Yi n’a eu aucune perte durant les combats. L’expérience est réitérée à la fin mai à Sacheon, première utilisation par l’amiral de deux de ses bateaux-tortues. Durant la bataille, Yi Sun-sin aurait pris une balle d’arquebuse dans l’épaule mais aurait dissimulé la blessure pour ne l'enlever qu’à la toute fin, devant la stupeur des hommes sur le pont, en l’extrayant avec un couteau.

En août, il coule à nouveau 43 navires ennemis à la bataille d’Hansan-do, parfois appelée la Salamine de l’Orient. Cette victoire lui permet de garder la suprématie des mers et, surtout, il coupe les lignes d’approvisionnements des Japonais qui doivent maintenant vivre sur le pays. Mieux encore, l’amiral coréen enlève à Toyotomi Hideyoshi tout espoir de conquête de la Corée et de la Chine. D’autre part, la Chine vient porter secours à son allié coréen avec un corps expéditionnaire de 140 000 hommes. En récompense, l’amiral Yi est fait grand amiral des trois provinces du sud : Jeolla, Gyeongsang et Chungcheong.

Alors que la guerre se poursuit sur terres, Yi Sun-sin maintient ses défenses côtières pendant près de quatre ans. Il devient un véritable héros national et ses talents de commandement font la fierté de ses hommes. Malheureusement, il est victime d’un nouveau complot en 1597, fomenté par un général rival. On lui retire son commandement, son grade et on le convoque à la capitale pour comparaître. Malgré les avertissements de ses officiers, il part pour la Hanyang où il est mis aux arrêts, emprisonné et torturé. Il est finalement acquitté mais il retourne, encore une fois, dans l’armée au plus bas de l'échelle.

En 1597, les Japonais lancent une nouvelle vague d’invasion avec 1 000 navires et 140 000 soldats. Yi Sun-sin est rappelé par le roi après la perte de la flotte, 156 bâtiments, commandée par l’amiral Won Gyun, mort au combat. 13 navires survivent à la bataille mais la guerre maritime semble perdue. En octobre, contre l’avis de tous, Yi, de nouveau amiral, lance ses 13 vaisseaux contre une flotte japonaise de 333 navires dans le détroit de Myong-Yang. Comparable à la bataille de Salamine, Yi use du relief pour minimiser l’avantage numérique japonais en attaquant un navire à la fois. Il compte également sur l’appui des courants changeants du détroit pour envoyer ses ennemis les uns contre les autres. Le stratagème fonctionne. 31 navires sont coulés, 92 incapacités et le reste s’enfuit. Aucune navire coréen n’est détruit dans la bataille. Avec Myong-Yang, Yi Sun-sin venait de renverser la tendance de la guerre.

Yi engage ensuite les Japonais à No-Ryang en décembre 1598. Avec 150 vaisseaux, dont 3 bateaux tortue, il attaque 500 navires ennemis dans un petit détroit. Il a cette fois le soutien de navires chinois commandés par l’amiral Chen Li. Au son du tambour, qu’il frappe lui-même, il organise l’assaut de ses hommes. Son adresse tactique lui permet de vaincre les Japonais un par un sans subir de perte. En plein milieux des combats, il est cependant atteint d’une balle perdue et s’écroule. Son fils et son neveu, alors sur le pont, viennent auprès du blessé. Conscient que sa fin est proche, tout comme la victoire, il ordonne à l’un d’eux de prendre son armure et de commander la flotte afin de cacher le fait qu’il allait mourir. L’illusion est totale. Alors que l’amiral s’éteint sur le pont de son navire, ses officiers parviennent à anéantir la flotte japonaise, 300 navires sont passés par le fond sur les 500 présents. Lorsque la nouvelle de la mort de Yi arrive aux oreilles de ses hommes, une grande douleur secoue la flotte coréenne. L’amiral Chen Li se serait même effondré après avoir suivi le neveu de Yi, pensant que c’était lui.

Quelques temps après No-Ryang, la guerre d’Imjin prend fin. Yi Sun-sin est élevé au rang de héros national, ce qu’il est encore aujourd’hui. On lui attribue en tout 23 batailles avec 23 victoires et pas une fois il n’a perdu un navire. Il est ainsi considéré comme le meilleur amiral de tous les temps. Lors d’un entretient avec l’amiral japonais Tôgô Heihachirô, présenté comme l’amiral Nelson de l’Orient après sa victoire contre les Russes à Tsushima en 1905, le Japonais précise qu’il préfère être comparé à l’Anglais plutôt qu’à l’amiral coréen, tant sa figure est marquée par ses exploits inégalés.

Mort de Yi Sun-sin, touché par une balle d'arquebuse

Son talent lui vaut même, ironie de l’histoire, d’être la divinité protectrice de la flotte impériale japonaise durant l’ère Meiji (1868 – 1912). Après sa mort, il obtient le nom posthume de Chungmu. Il est à l’origine du Cordon de Chungmu, un ordre militaire prestigieux. Lui sont aussi dédiées deux statues, l’une à Busan à l’entrée du port, regardant la mer de l’Est (ou mer du Japon pour les Japonais), et l’autre à Séoul (ci-contre), sur l’avenue Sejongno, face au palais Cheonggyecheon, l’une des avenues principales de la capitale coréenne, où sont présentées les grandes figures de son histoire. Au pied de celle de Séoul se trouve une maquette d'un bateau-tortue. Egalement, son portrait a illustré entre 1983 et 2018, l’avers des pièces de 100 wons. Son nom a également été donné à une classe de 6 destroyers de la marine coréenne, les Chungmugong Yi Sun-sin.

Yi Sun-sin est aussi l’auteur d’un journal de bord, le Nanjung Ilgi (ou Journal de guerre de Yi Sun-sin) où il retranscrit son quotidien, la société coréenne et ses batailles. Conservé, ce journal fait aujourd’hui partie de la collection « Mémoire du monde » de l’ONU, comme patrimoine culturel du monde.

Si ses prouesses militaires sont extraordinaires, Yi Sun-sin est surtout connu, et mis en valeur, pour ses qualités de chef et sa loyauté envers son pays. Malgré les trahisons, il n’a pas arrêté de combattre pour son royaume et a relevé un nombre incalculable de défis.

Personnage incontournable de l’histoire et du patrimoine coréen, il est plusieurs fois représenté dans la littérature et au cinéma, notamment avec la série Immortal Admiral Yi Sun-sin, en 104 épisodes, diffusés entre septembre 2004 et août 2005. Plus récemment, le film de 2014, The Admiral : Roaring Currents, présente le contexte et la bataille de Myong- Yang. Il est aussi présent dans les jeux vidéo comme Age of Empire II : The Conquerors (1999).

© Mary Evans Picture Library/Paul Brown

Publié par Adrien RASATA, le 1er mai 2022

Ouvrages :

• Dayez-Burgeon P., Histoire de la Corée, des origines à nos jours, Collection Texto, Tallandier, Paris, 2017, 2^e édition, pp 87-96

Articles internet :

• Szczepanski, Kallie. (2020, August 27). Yi Sun Shin, Korea's Great Admiral. [en ligne] Retrieved from https://www.thoughtco.com/admiral-yi-sun-shin-3896551
• West, E. (2021, 11 mars). Yi Sun-sin : history’s greatest admiral. Military History Matters. [en ligne] Consulté le 18 décembre 2021, à l’adresse https://www.military-history.org/feature/early-modern/yi-sun-sin-historys-greatest-admiral.htm

• BIOGRAPHIE DE YI SUN-SIN - FAITS, ENFANCE, VIE DE FAMILLE, RéALISATIONS - DIRIGEANTS. (s. d.). Celeb-true.com. [en ligne] Consulté le 5 février 2022, à l’adresse https://fr.celeb-true.com/admiral-sun-served-naval-commander-joseon-dynasty-during-century
• TheFamousPeople.com. (s. d.). Who was Yi Sun-sin ? Everything You Need to Know. [en ligne] Consulté le 5 février 2022, à l’adresse https://www.thefamouspeople.com/profiles/yi-sun-sin-38647.php

• Wikipedia contributors. (2021b, décembre 5). Yi Sun-sin. Wikipédia. [en ligne] Consulté le 5 février 2022, à l’adresse https://fr.wikipedia.org/wiki/Yi_Sun-sin

Vidéos YouTube :

• Extra History : Korea – Admiral Yi (série de 5 vidéos) par Extra Credits, mise en ligne entre le 26 septembre 2015 et le 24 octobre 2015 [en ligne] [visionnée le 09/01/2022] Disponible sur : https://www.youtube.com/playlist?list=PLhyKYa0YJ_5C45ST5eQr8Sn3vWc7YgLBf
• Série sur la guerre d’Imjin (4 vidéos) par Kings and Generals, mise en ligne entre le 10 mai 2020 et le 28 mars 2021 [en ligne] [visionnée le 09/01/2022] Disponible sur : https://www.youtube.com/playlist?list=PLaBYW76inbX7o_R7dg4OTZrnUTi_fYTIL
• Spirit of Korea_Yi Sun-shin(이순신), par la chaîne Arirang Culture, mise en ligne le 24 avril 2016 [en ligne] [visionnée le 09/01/2022] Disponible sur : https://youtu.be/Cw8p-D6kDAM
• Yi Soon Shin : The Legendary Warrior (Documentary), par la chaîne Arielle Feldman, mise en ligne le 4 janvier 2015 [en ligne] [visionnée le 09/01/2022] Disponible sur : https://youtu.be/5JHx0Bz7MxY

Crédits images :

1. Illustration de Yi Sun-sin avec un bateau-tortue, auteur inconnu. Disponible sur : https://weaponsandwarfare.com/2017/03/29/yi-sun-sin/
2. Représentation de Yi Sun-sin en armure, auteur inconnu. Disponible sur : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:YiSunsin_person.jpg
3. Reconstitution d'un bateau-tortue utilisé par Yi Sun-sin au Mémorial de la guerre de Corée à Séoul. Disponible sur : https://www.thepirateking.com/ships/ships_turtle.htm
4. Navire forteresse japonais contre bateau-tortue coréen durant la bataille d’Angolpo (1592). Auteur inconnu. Disponible sur : https://openendedsocialstudies.org/2016/06/25/admiral-yi-sun-sin/
5. Chantier naval du bateau-tortue et bataille navale durant la guerre d’Imjin. Auteur inconnu. Disponible sur : https://www.antiquealive.com/Blogs/Geobukseon_Turtle_Ship.html
6. Illustration d’une scène de la bataille de Myong-Yang. Auteur inconnu. Disponible sur : https://www.art-prints-on-demand.com/a/unbekannter-kuenstler/dieseeschlachtvonmyongnyangam26oktober1597auszehns.html
7. Illustration de la mort de Yi Sun-sin. Auteur inconnu. Disponible sur : https://openendedsocialstudies.org/2016/06/25/admiral-yi-sun-sin/
8. Photographie de la statue de Yi Sun-sin à Séoul. © Mary Evans Picture Library/Paul Brown. Disponible sur : https://www.mediastorehouse.com/mary-evans-prints-online/statue-admiral-yi-sun-sin-seoul-south-korea-14119988.html?nochkip=1&pid=6947