François Vatel

Rares sont ceux dont le nom est entré dans l’histoire pour leur suicide. François Vatel est l’un d’eux. Mais au-delà de sa mort, ce qui a choqué ses contemporains et ce qui continue de le faire de nos jours, c’est sa capacité à créer de grandes fêtes somptueuses au cours du XVIIe siècle. D’abord au service de Nicolas Fouquet puis du Grand Condé, François Vatel a dressé la table des plus grands, dont celle du roi. Il est reconnu aujourd’hui comme l’un des fondateurs de la gastronomie française. Il réinventa l’art de la fête et des grandes prestations culinaires, allant jusqu’à faire jalouser le grand Louis XIV. Voici son histoire et sa légende.

Portrait anonyme de francois vatel

Portrait de François Vatel et de son fils, auteur anonyme. Musée de Mirande - Gers

Le grand maître d’hôtel de Nicolas Fouquet

Nous savons peu de choses sur la jeunesse de François Vatel. Il naît en 1635, sous le nom de Fritz Karl Wattel, à Tournai, de parents suisses. Son père était laboureur et François ne veut pas de cette vie. Il parvient à entrer en apprentissage chez le parrain de son frère, le pâtissier-traiteur Jehan Heverard, chez qui il apprend les rudiments de la cuisine et son fonctionnement.

Nul ne sait comment mais, en 1653, il arrive dans les cuisines de Nicolas Fouquet, surintendant des Finances du roi Louis XIV (équivalent aujourd’hui du ministre des Finances), au sein du château, nouvellement construit, de Vaux-le-Vicomte, dans l’actuel département de la Seine-et-Marne. D’abord écuyer de cuisine, il se fait remarquer par ses talents d’organisateur et sa créativité. Pour le récompenser, Fouquet le nomme maître d’hôtel. Par ce titre, Vatel devient responsable de toute l’organisation des fêtes, de l’approvisionnement des cuisines et du personnels du château. Il veille à ce que tout aille bien, ce que les historiens pourraient, anachroniquement, comparé à un responsable de l’événementiel. Selon Nicole Garnier, conservatrice au château de Chantilly, François Vatel était si bon dans son métier qu’il fut débauché, en quelques occasions, par d’autres seigneurs pour organiser leurs banquets. Parmi eux, on retrouve le cardinal-ministre Mazarin, le duc d’Orléans, le frère du roi et même sa majesté Louis XIV.

Les talents de Vatel sont reconnus par toute la haute société française de l’époque. Lorsque Nicolas Fouquet décide, en 1661, de réaliser une immense fête pour inaugurer son château de Vaux-le-Vicomte, il est tout naturel de voir François Vatel aux commandes des festivités.

Portrait de nicolas fouquet par charles le brun

Portrait de Nicolas Fouquet par Charles Le Brun

Nicolas fouquet accueille louis xiv a vaux le vicomte

Accueil du roi Louis XIV par le surintendant des Finances Nicolas Fouquet le 17 août 1661

Le surintendant a invité le roi qui vient avec sa famille et la cour. Ce sont plus de 600 personnes qui sont attendues à Vaux-le-Vicomte. En ce soir du 17 août 1661, Nicolas Fouquet joue gros. La société de cour de l’époque est conçue autour de la démonstration de ses richesses. Pour montrer son importance, il faut faire étalage de son argent et de sa capacité à recevoir, un art que Louis XIV magnifiera plus tard avec Versailles, achevé en 1682. Vatel prépare donc un véritable plan de bataille où les plats s’enchaînent avec une précision chirurgicale. Les mets sont tous plus raffinés les uns que les autres, avec des poissons, des viandes rôties, ou rôts selon l’appellation officielle, des légumes, des fruits, des desserts exquis. À côté du banquet, Nicolas Fouquet envoie le grand jeu pour éblouir son audience. Des spectacles aquatiques ont lieu dans ses bassins et les convives peuvent entendre l’orchestre joué de la musique de Jean-Baptiste Lully, l’un des grands musiciens de l’époque, dont une partition vient compléter une pièce de théâtre de Molière, spécialement composée pour cette occasion, Les Fâcheux. Apothéose de la soirée, un immense feu d’artifice est lancé dans le ciel. Louis XIV et les invités sont ravis. Le roi donne ses compliments à son ministre, avant de regagner ses logements au château de Fontainebleau, non loin. Jean de la Fontaine mais aussi l’épistolière Madame de Sévigné ont loué les efforts de François Vatel, qui réussit à créer la fête du siècle.

Exil et l’arrivée de Vatel à Chantilly

Nicolas Fouquet est devenu, en un soir, l’homme le plus apprécié de France et Vatel, de son côté, le maître d’hôtel le plus talentueux. Cependant, à peine Vaux-le-Vicomte est-il rendu à son quotidien qu’une nouvelle terrible arrive. Nicolas Fouquet est arrêté et condamné à la prison.

Louis XIV, qui avait montré son admiration en public, avait en réalité été marqué négativement par cette fête qui l’avait touché dans son orgueil. Fouquet était un simple noble mais il semblait avoir plus d’argent que le roi. Ce dernier subissait encore les conséquences financières de la guerre contre l’Espagne (1635 – 1659). Il jalousait Fouquet et pensait qu’il préparait une rébellion ou une usurpation, comme ce fut le cas lors de la fronde des princes au début de son règne. Il aurait même déclaré à sa mère, la reine Anne d’Autriche, « Il faudra faire rendre gorge à tous ces gens ! ». Il utilisa donc la fête du 17 août comme prétexte pour relever Fouquet de ses fonctions et le faire prisonnier. La sentence est irrévocable, il est condamné à la prison à perpétuité, dans le fort de Pignerol, où il meurt en 1680.

Pour Vatel, c’est aussi la douche froide. Il est celui qui participa en premier à l’étalage de la richesse du surintendant. Pensant lui aussi être inculpé, il s’enfuit en Angleterre. Hasard du destin, Louis XIV reconnut le savoir-faire des hommes de Fouquet et les fit venir, sains et saufs, à sa cour.

En Angleterre, François Vatel se lie d’amitié avec un autre Français, Jean Hérault de Gourville, qui fut également un ami de Fouquet. Il se trouve que Gourville travaille pour le prince Louis II de Bourbon-Condé, le cousin du roi. Présenté par Gourville, Vatel intègre le personnel de celui qui se faisait appeler le Grand Condé. Admiratif de ses talents d’organisateur, Vatel est fait, en 1663, « contrôleur général de la bouche » par le prince de Condé, au sein de son château de Chantilly. Il est en charge, comme à Vaux-le-Vicomte, de tout ce qui a trait à la nourriture au sein du château, et gère le personnel et l’approvisionnement, sans parler de l’organiser des banquets et réceptions du prince de Condé.

Nicolas de poilly conde et le roi de pologne

Nicolas de Poilly (1626-1686), Le prince de Condé et son fils le duc d'Enghien accueillant le roi de Pologne au château de Chantilly (détail), 1670, gravure. Le personnage, au fond, à gauche, serait probablement François Vatel, alors au service du prince de Condé. Bibliothèque nationale de France, Collection Hénin.

La tragique fête de Chantilly

Le Grand Condé, l’un des meilleurs généraux du début du règne de Louis XIV, obtient d’ailleurs son surnom à la bataille de Rocroi en 1643, l’année d’intronisation du roi, était cependant tombé en disgrâce depuis. En 1648-1651, au moment de la Fronde, et lors de la guerre franco-espagnole, il s’était rangé dans le camp des opposants au roi, pire, il était parti rejoindre les Espagnols. Louis XIV garde en mémoire ses jeunes années, qui restent un véritable traumatisme pour lui. Après la paix en 1659, Condé parvient à revenir en France en 1660 et fut pardonné officiellement par le roi. Officieusement, il était exclu de toutes les réceptions et s’était réfugié dans sa propriété de Chantilly.

L’arrivée de Vatel redonne une lueur d’espoir au prince. Avec l’aide du meilleur maître d’hôtel du moment, Condé espère retrouver l’estime de son cousin le roi grâce à une fête. Celle-ci a lieu en avril 1671. Pendant trois jours et deux nuits, entre les 23 et 25 avril, Condé fait venir des centaines de personnes dans son château. Les estimations des historiens varient entre plus de 300 jusqu’au chiffre extraordinaire de 3 000 invités, environ 600 courtisans et leurs personnels. Tout comme à Vaux-le-Vicomte, Vatel sort le grand jeu. Pendant deux semaines, il établit un menu qui ravira les goûts du roi et de ses invités. Il prépare des scènes théâtrales en utilisant les grands jardins de Chantilly, ainsi que ses nombreux bassins. Comédiens et musiciens font partie du décor, tout comme les animaux.

Louis xiv a chantilly a 1671

Repas de Louis XIV. Illustration vers 1900. Credit Collection Kharbine Tapabor.

Cependant, les projets de Vatel ne se déroulent pas comme prévu. 75 invités n’étaient pas prévus et l’une des tables n’est pas servie en viandes rôties. L’excellence de son service se retrouve entachée. Malgré les remarques réconfortantes de Condé, Vatel n’arrive pas à passer à autre chose. Le roi a eu toute la viande qu’il désirait, l’essentiel était fait. Mais le feu d’artifice du soir fut gâché par un ciel nuageux. Plus de 16 000 écus furent ainsi gaspillés, c’est un nouvel échec pour Vatel.

Scene du film vatel 2000

Scène du film Vatel (2000). Gérard Depardieu y joue le rôle de François Vatel

Sur les nerfs et fatigué, cela fait déjà douze nuits qu’il ne dort plus, affairé à tout préparer, Vatel anticipe déjà les difficultés pour le lendemain. Le 24 avril est un vendredi, c’est donc un jour maigre, ce qui, chez les chrétiens se définit comme un jour sans viande. Pour nourrir tous ces convives, Vatel a passé commande auprès de pourvoyeurs en bords de Manche, à Dieppe et à Boulogne-sur-Mer. Il compte aussi sur des arrivages de poissons d’eau douce, pêchés dans les environs. Pris de panique, le maître d’hôtel se lève à 4 heures du matin, moment où les premiers poissons devaient arriver. Mais rien ne se passe. Il attend quatre heures et, enfin, un arrivage de poissons. Cependant, il n’y a que deux petits paniers. Ce n’est clairement pas suffisant. Selon une correspondance de Madame de Sévigné, à sa nièce Madame de Grignan, Vatel aurait dit à son ami Gourville : « Monsieur, je ne survivrai pas à cet affront-ci ; j'ai de l'honneur et de la réputation à perdre ». Son ami ne comprend pas son désespoir et se moque gentiment de lui. C’est l’ultime déception pour François Vatel. Il monte dans sa chambre et, face à la honte qui l’habite, décide de se suicider plutôt que de vivre avec cet échec. Il coince alors une épée dans la porte de sa chambre et, par trois fois, se jette dessus, se perçant le cœur. François Vatel, le meilleur des maîtres d’hôtel français venait de se donner la mort.

Son corps, gisant dans une marre de sang, fut découvert peu de temps après par Gourville et des domestiques. Le Grand Condé est immédiatement informé et vient pleurer son maître d’hôtel. Mais pour le bien de la fête, la mort de Vatel est cachée aux convives. Le roi n’en est informé que sur la toute fin. Dans une confidence à son cousin, il regrette, par sa présence, d’avoir causé un tel tort.

Ironie, si l’on peut dire, de l’histoire, au moment où Vatel se suicidait, les premières carioles amenaient les poissons tant attendus. Une tempête sur la Manche et la pluie des jours passés avaient ralenti l’acheminement de la cargaison. Selon certains, en hommage à Vatel, le poisson ne fut pas manger ce jour-là.

Suicide de vatel par edouard zier 1

Illustration de la mort de François Vatel par Edouard Zier. XIXe siècle

La mémoire de Vatel

A peine la mort de Vatel constatée, que son corps est emmené loin du château. Le roi ne pouvait décemment pas être au même endroit qu’un cadavre. Selon la loi chrétienne, les suicidés n’avaient pas le droit à une sépulture individuelle. Ce n’est qu’avec l’intervention du roi que François Vatel obtient le droit d’être enterré dignement. Il fut inhumé au cimetière de Vineuil-Saint-Firmin.

La nouvelle de la mort de François Vatel fait rapidement le tour de la haute société de l’époque. Madame de Sévigné est l’une des nombreuses personnes à communiquer sur la disparition. Selon les historiens, Vatel aurait été victime d’un surmenage et aurait fait une dépression nerveuse, ce que les sociologues et psychologues de nos jours qualifieraient de burn-out. Face aux enjeux qui reposaient sur ses épaules, il n’a pas su faire face aux difficultés.

Mort vatel

Illustration anonyme de la mort de François Vatel

Les jugements sur son suicide sont nombreux. Certains comprennent la gravité du choix mais d’autres, comme l’écrivain Alexandre Dumas, condamnent Vatel qui a succombé à la pression, comme un apprenti, plutôt que de surmonter l’adversité, comme le font les chefs de cuisine.

Mais pour l’histoire, François Vatel fut l’un des grands hommes qui firent de la gastronomie française un art reconnu par tous. Désigné à tort come un chef cuisinier, ce qu’il ne fut jamais, il participa au développement de la cuisine comme un art où le goût se joint au visuel du plat. Pour Vatel, le repas doit être un tableau qui éveille tous les sens. Cet art de la gastronomie et du service se retrouve dans l’une des grandes institutions de l’hôtellerie-restauration française. L’école Vatel forme, depuis 1981 et à l’international, des hôteliers qui font rayonner le savoir-faire français.

Hotel vatel

Façade d'un hôtel Vatel en France

François Vatel n’a pas quitté les mémoires car le château de Vaux-le-Vicomte entretient toujours le souvenir de son ancien maître d’hôtel. Plusieurs fois dans l’année, des feux d’artifice, rappelant ceux de 1661, sont lancés au château, tout comme de grands festivités comme celles de Noël. Plusieurs panneaux, au sein des cuisines du château viennent rappeler l’histoire de Vatel. Il fut aussi le sujet d’un film en 2000, Vatel, par Roland Joffé, où son personnage est interprété par Gérard Depardieu. En 2022, son histoire est retracée dans le documentaire Secrets d’Histoire Vatel, Carême, Escoffier : à la table des rois !, présenté par Stéphane Berne, où il est montré comme l’un des grands hommes qui ont façonné la gastronomie française.

Publié par Adrien RASATA, le 04/10/2025

François Vatel

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