Choucroute alsacienne

La choucroute, un plat d’hiver devenu un symbole de l’Alsace en France. Le goût aigre du chou est reconnaissable parmi tous et sa garniture généreuse en fait un plat familial et convivial, que l’on retrouve aussi bien dans les foyers que dans les brasseries de tout le pays. Elle est fréquemment présente sur les tables françaises et européennes mais peu savent précisément d’où vient cette façon de cuire le chou. Est-elle alsacienne ? Quel bienfait possède la fermentation ? Comment la choucroute est-elle devenue ce qu’elle est aujourd’hui ? Retour sur une histoire qui nous emmène bien loin en arrière, au temps de la Chine du IIIe siècle avant Jésus-Christ.

Illustration choucroute garnie

Illustration anonyme d'une choucroute alsacienne

À l’origine, un plat venu de la Chine antique

Les historiens peinent à déterminer la date précise de création de la choucroute. Il est cependant admis qu’il s’agit d’un type de plats connus dès l’Antiquité, plus précisément de Chine. Selon les chercheurs, les premières formes de choucroutes auraient été réalisées au IIIe siècle avant notre ère, en Chine occidentale, par des ouvriers de la Grande Muraille. Pour lutter contre les mois froids de l’hiver, ils fermentaient le chou pour pouvoir le garder plus longtemps et ainsi survivre jusqu’au retour de la chaleur. Cette technique a ensuite traversé le temps et l’espace, notamment le long des routes de la soie. Les Romains avaient, à ce titre, connaissance de la fermentation du chou. De l’autre côté du monde, le chou s’est aussi fait une place, par exemple dans la péninsule coréenne où Nord-Coréens comme Sud-Coréens raffolent du kimchi, du chou fermenté cuisiné avec une pâte de piment. En Chine, il est un plat régional de la province de Heilongjiang, en Mandchourie.

Il faut toutefois attendre, au mieux, le Ve siècle de notre ère pour que le chou fermenté se fasse une place certaine en Europe. Les Huns d’Attila (395 – 453), en s’attaquant à la Grande Muraille, auraient appris cette technique de conservation de la nourriture afin de supporter les grands voyages à travers l’Asie centrale. Cette transmission s’est ensuite renforcée par l’arrivée d’autres peuples nomades des steppes comme les Tatars et les Mongols aux XIIe et XIIIe siècles. Les premières mentions de chou fermenté remontent, quant à elle, au XVe siècle, dans l’actuelle Bavière, sous le nom de Sauerkraut.

Scene de marche par pieter aertsen

Scène de marché hivernal par Pieter Aertsen, 1569

Un plat de choux qui se fait une place dans la gastronomie alsacienne puis française

À partir du Moyen Âge, le chou fermenté se développe dans les régions d’Europe centrale. Encore aujourd’hui, on retrouve des plats à bases de chou fermenté aussi bien en Pologne, en Russie que dans les Pays-Bas, en Allemagne et en Italie. Les sols et le climat centre-européens sont en effet propices à la culture du chou. Étant récolté au moment de l’automne, il garantissait une alimentation en quantité jusqu’au retour du soleil et de températures plus clémentes. Il pouvait compléter le régime alimentaire paysan où se trouvaient aussi les poireaux, les navets et les courges. Grâce aux Européens, le produit s’exporte ensuite à travers le monde, notamment en Amérique, où il est devenu un plat traditionnel au Chili, le completo chileno, et en Afrique, par exemple en Namibie, grâce à des colons allemands au XIXe siècle.

À partir de la Renaissance, au XVIe siècle, la choucroute commence à gagner en popularité en Alsace et dans les pays germaniques. Le nom sauerkraut (littéralement « aigre plante » mais transformé en chou aigre, kraut « chou » et sauer « aigre ») est devenu en alsacien sürkrüt. Au XVIIIe siècle, il est francisé en sorcrote puis choucroute. Ainsi, plus qu’un plat, le nom désigne une façon de préparer l’aliment de base. Mais par habitude, il s’est mis à désigner le plat en lui-même, le chou et sa garniture riche et fournie.

Paul kauffmann fabrication de la choucroute 1902

Paul Kauffmann Fabrication de la choucroute 1902

Aux XVIIe et XVIIIe siècle, le chou est accompagné d’ingrédients, comme de la charcuterie et des viandes salées. C’est d’ailleurs pour cela que, pendant un temps, au XVIIe siècle, la choucroute s’appelait le « chou compost », c’est-à-dire un chou composé. En guise de complément, les Alsaciens utilisent des aliments de leur région comme la fameuse knack de Strasbourg, la saucisse de Montbéliard, du lard et parfois du porc salé, comme le kassler, ainsi que des saucisses de Frankfort. Une version maritime existe également, popularisé par les bateliers du Rhin, notamment à Strasbourg. Des poissons marins mais aussi de rivières pouvaient être utilisés comme du saumon, de la lotte ou du haddock, tout comme des fruits de mer. Chaque région mais, surtout, chaque famille alsacienne conçoit sa propre recette de choucroute, tant et si bien qu’il est possible de goûter un plat différent par maison. Et, si l’on en croît les Alsaciens eux-mêmes, aucune n’est aussi bonne que celle de leur maman. Quoiqu’il en soit, c’est à cette époque que naît la choucroute garnie.

La choucroute devient donc un plat courant en Alsace. Chaque famille récolte les choux et les membres de celle-ci les rappent eux-mêmes avec un coupe-chou, un rabot à plusieurs lames. C’était un effort commun afin de passer l’hiver. Tellement commun, qu’il en est devenu le symbole.

Choucroutiers en train de faire de la choucroute

Découpage des choux dans une usine de choucroute à Strasbourg (Alsace), en 1932

La diffusion de la choucroute dans le reste de la France s’est faite à la fin du XIXe siècle. Une première tentative avait été faite par la Princesse Palatine, la belle sœur de Louis XIV, à Versailles mais le goût aigre du chou n’avait pas plu aux courtisans et l’affaire était restée sans suite. Mais lorsque la guerre franco-prussienne éclate en 1870, de nombreux Alsaciens quittent leurs terres pour la France, encore plus après la défaite et l’annexion à l’Allemagne l’année suivante. Ces réfugiés emmènent avec eux leur patrimoine culinaire dont la choucroute. Certains font même la route jusqu’à Paris où ils s’installent autour de la Gare de l’Est (qui fut un temps appelée gare de Strasbourg). Là, de nombreuses brasseries ouvrent et la choucroute entre au menu des Parisiens. L’une d’elles, la brasserie Schmid, ouvre en 1902 et fait encore partie des références du genre. Le plat a un grand succès et se fait une place parmi les recettes préférées des Français.

Un plat devenu l’emblème de l’Alsace et de la France

En 2018, la « choucroute d’Alsace » obtient l’appellation Indication géographique protégée (IGP). Elle démontre une reconnaissance à l’échelle européenne d’un savoir-faire traditionnel et garantit une qualité des produits pour le consommateur. En effet, pour être appelée « choucroute d’Alsace », il faut que le chou soit produit dans la région, que ce soit dans le Haut-Rhin ou le Bas-Rhin. Pour cela, les agriculteurs utilisent en général deux espèces : le quintal d’Alsace ou le filderkraut. On trouve de nombreuses exploitations productrices et des choucrouteries dans les deux départements alsaciens mais la ville de Krautergersheim, littéralement la « ville du chou », est aujourd’hui reconnue comme la capitale de la choucroute. Ses producteurs cultiveraient près de 75 % des choux à choucroute français. Naturellement, il existe une fête du chou, à Krautergersheim, le premier week-end de septembre. D’autre part, il est possible d’en trouver dans tous les événements festifs, en particulier les marchés de Noël, comme celui de Strasbourg. Originellement préparée pour l’hiver, la choucroute est aujourd’hui servie toute l’année, à la maison comme dans les brasseries et les restaurants.

Affiche choucroute olida

Publicité pour les choucroutes Olida

Plus qu’un produit et un plat, la choucroute c’est aussi tout un univers culturel. Les anciens se souviennent des ramassages et de la découpe des choux, et les jeunes apprennent à découvrir un mets familial, voire ancestral, à la maison comme au restaurant. Les portions généreuses sont là pour donner du baume au cœur et l’énergie suffisante pour tenir la journée. La choucroute s’est fait une place dans l’assiette et dans la langue. Plusieurs expressions font ainsi référence à la choucroute comme « cela n’a rien à voir avec la choucroute » pour parler d’une discussion hors-sujet, ou « pédaler dans la choucroute » (cousine de l’expression « pédaler dans la semoule »), rendue célèbre par les cyclistes du Tour de France. En 1995, le président Jacques Chirac en parle en disant « Bien sûr que je suis de gauche ! Je mange de la choucroute et je bois de la bière ».

Un produit médicinal

Dès l’Antiquité, les médecins ont découvert les propriétés bienfaitrices du chou fermenté. Les transformations chimiques de la fermentation produisent en effet des bactéries qui favorisent la flore intestinale, facilitant ainsi la digestion et le transit, auxquelles se rajoutent les nombreuses fibres que contient le légume. Il est également très riche en vitamines, ce qui est explique son utilité lors des périodes froides de l’hiver. Parmi elles, on trouve la vitamine C, également présente dans les agrumes. C’est d’ailleurs pour cela que le chou fut ajouté au repas des marins anglais à partir du XVIIIe siècle. Le navigateur James Cook, connu pour la découverte de l’île de Pâques, avait observé que la consommation de chou aidait à prévenir ou traiter le scorbut. Une maladie récurrente des voyages en mer, liée à un régime alimentaire déséquilibré et manquant de vitamine C. Il ne savait pas le principe nutritionnel derrière sa découverte mais la Royal Navy utilisa, à partir de là, le chou pour maintenir ses marins en état. Suivant cet exemple, la marine française fit de même, au grand plaisir des producteurs alsaciens et bretons.

Illustration alsaciens et choucroute 1

Illustration humouristique anonyme représentant des Alsaciens mangeant une choucroute

Les secrets pour une bonne choucroute

Il existe donc un grand nombre de façons de faire une choucroute. En plus de celles à la viande ou au poisson, il est désormais possible d’en faire en version végétarienne avec des substituts comme des champignons ou des produits à base de soja.

Pour ce qui est de la version traditionnelle, à base de viandes, il faut plusieurs choses. Le chou, tout d’abord, doit venir d’Alsace, dans le meilleur des cas. Il est débarrassé de ses feuilles superflues, découpé en fines lamelles et mis dans un contenant, un tonneau ou une cuve. On y rajoute du sel et une saumure, à niveau. Le contenant est ensuite scellé, l’air n’y a pas sa place, afin d’éviter l’apparition de moisissures. La fermentation est dite anaérobie et à partir des ferments lactiques (ou lactofermentation) présents naturellement dans le chou. Au bout de six à huit semaines, le contenant est ouvert et le chou est prêt. Pour ce qui est de la garniture, la choucroute garnie met donc généralement des saucisses fumées (Montbéliard et/ou Morteau), des knacks d’Alsace, une saucisse de Frankfort et du lard, sans oublier les morceaux de pommes de terre. Il existe une version plus riche, appelée la choucroute royale. Celle-ci rajoute du jambonneau ainsi que des morceaux de porc nobles comme le jarret ou une palette.

Choucroute d alsace

Photographie d'une choucroute servie dans un groupe ©Adobe Stock

Concernant la préparation, les aliments sont mis ensemble dans une marmite afin de libérer les arômes de chaque ingrédient. Selon les versions, la choucroute est ensuite cuite dans du vin blanc, d’Alsace attention, ou de la bière. Chacun a ses arguments pour l’un ou l’autre. Pour l’assaisonnement, on rajoute du poivre, un clou de girofle et des baies de genièvre. Il est toutefois possible de rajouter d’autres herbes comme du cerfeuil, du thym, de l’aneth ou du laurier dans un bouquet garni. La cuisson dure ensuite une à plusieurs heures et le plat est ensuite servi très chaud, le tout dans la convivialité et la bonne humeur.

Publié par Adrien RASATA, le 22/11/2025

Complément (pas de collaboration économique entre l'auteur et 750g)

(Pas de collaboration économique entre l'auteur et 750g)

La meilleure façon de... Réussir la choucroute - 750g

Sources

Articles internet :

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Articles de presse :

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Articles Wikipédia :

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Contributeurs aux projets Wikimedia. (2025m, juillet 1). Choucroute d’Alsace. Wikipédia. [en ligne] Consulté le 22 novembre 2025, à l’adresse https://fr.wikipedia.org/wiki/Choucroute_d%27Alsace

Vidéos YouTube :

Connaissez-vous les origines de la choucroute ? Une fille en Alsace nous dit tout | TOP FAMILY, par la chaîne Top Music, mise en ligne le 19 octobre 2023 [en ligne] [visionnée le 22/11/2025]. Disponible sur : https://youtu.be/9AlMBYCwpyw
Gastronomie : la traditionnelle choucroute alsacienne, par la chaîne Météo à la carte – France Télévisions, mise en ligne le 6 décembre 2021 [en ligne] [visionnée le 22/11/2025]. Disponible sur : https://youtu.be/2A2NytA_nDQ
Histoire de plat : La choucroute – Les carnets de Julie, par la chaîne Les Carnets de Julie – France Télévisions, mise en ligne le 4 février 2017 [en ligne] [visionnée le 22/11/2025]. Disponible sur : https://youtu.be/2A2NytA_nDQ
La choucroute classique et son histoire, par la chaîne Vince Cuisine, mise en ligne le 14 janvier 2025 [en ligne] [visionnée le 22/11/2025]. Disponible sur : https://youtu.be/dKw37DXoQvo
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