Les immigrations bretonnes

Armorique, Bretagne, Bretagne-Armorique, il existe plusieurs appellations possibles pour désigner cette péninsule de l’extrême-occident français, et elles ont toutes existé au cours de l’histoire. Mais pourquoi porte-t-elle le nom de Bretagne alors qu’historiquement il s’agit de l’île au-delà de la Manche, connue aujourd’hui comme la Grande-Bretagne ? Existe-t-il un lien avec la Grande et la Petite-Bretagne ?

Cette émigration bretonne, lorsqu'elle est prise du point de vue de la Bretagne insulaire, s'est faite en plusieurs étapes et dans différents contextes, d'abord sous l'Empire romain puis au moment des grandes migrations des peuples germaniques. Comment ces migrations, organisées en deux grandes vagues entre le IVe et le VIe-VIIe siècles ont-elles eu lieu et avec quelles conséquences pour les populations autochtones de l'Armorique ? Retour sur une histoire locale mais aux conséquences profondes et qui se font encore sentir aujourd'hui dans le patrimoine culturel et linguistique breton et français.

L emigration bretonne en armorique

Carte des migrations bretonnes lors des deux grandes vagues migratoires de l'Antiquité tardive et du haut Moyen Âge

La première vague migratoire, la Bretagne romaine

En 43 de notre ère, l’empereur romain Claude a conquis le sud et l’est de l’Angleterre actuelle et crée une nouvelle province de l’empire, Britannia, traduit en français en Bretagne. Malgré plusieurs révoltes, comme celle de Boudicca en 60, la province est pacifiée à la fin du Ier siècle. Cependant, à ses frontières, ce n’est pas la même chose, les Pictes, les Gaëls et les Scots cherchent à pénétrer l’empire par le nord, depuis l’actuelle Ecosse, et par l’ouest depuis l’Irlande. C’est d’ailleurs contre les raids dévastateurs du nord que l’empereur Hadrien construit un imposant mur de protection qui porte son nom.

En plus des troubles au sein des îles britanniques, la Bretagne est menacée sur ses côtes, à partir du IVe siècle, par des pirates saxons et jutes qui pillent les ports et terres fertiles le long de la Manche et de la mer du Nord, une région riche aux commerces maritime et fluvial florissants. Si les garnisons romaines de Bretagne maintiennent relativement bien les pirates en respect, la situation en Gaule n’est pas aussi reluisante, notamment en Armorique, la partie occidentale de la Bretagne française actuelle, et dont le nom signifie « pays qui fait face à la mer », aussi appelé Letavia. Si le gouvernement romain en Gaule parvient à protéger un minimum ses activités en les éloignant du rivage, il fait également venir en Armorique une partie des légions bretonnes pour organiser sa défense. Rompus à l’art du combat contre les pirates, ces soldats bretons offrent une redoutable protection, construisent des forts et entraînent les troupes locales en renfort des légions gauloises qui sont alors surtout des forces de police, quand elles ne sont pas envoyées protéger les frontières de l’empire en Europe centrale. Ces soldats bretons continuent d'ailleurs à servir l’Empire pendant de nombreuses décennies, des contingents ont ainsi combattu avec le général Aetius contre l’armée d’Attila aux champs Catalauniques en 451.

Reconstitution de soldats bretons armoricains

Reconstitution de soldats Bretons au sein des légions romaines en Armorique ©La troupe Letavia

Au IVe et au début du Ve siècle, il s’agit de laPeuples d armorique sous l antiquite tardive première vague de migrations des Bretons, celles des soldats qui emmènent avec eux femmes et enfants ainsi que leur langue et leur culture. Bretons et Armoricains sont à ce titre culturellement très semblables, tous deux sont issus de peuples celtes et partagent une langue aux origines communes. De plus, Bretagne et Armorique entretiennent des relations commerciales importantes, notamment à partir du port de Vannes qui était l’un des pôles d’activités de la région. Ces liens font que les Bretons s’assimilent assez bien aux coutumes et structures politiques locales. La Bretagne de l’Antiquité tardive était alors divisée en quatre régions où se concentrait des tribus celtiques dans lesquelles se sont diffusés les nouveaux arrivants : à l’ouest, c’était les Osismes, au Sud, dans la région de Vannes, les Vénètes, à l’est, dans le pays de Nantes, les Namnètes et au nord, les Coriosolites.

 

Seconde vague migratoire, création de la Bretagne continentale

À partir du Ve siècle, la situation change drastique en Bretagne. Après le départ des Romains en 410 pour se concentrer sur les migrations barbares aux frontières européennes, les Bretons, qui se sont organisés en royaumes indépendants, sont eux aussi la cible des invasions de peuples germaniques, en particulier des Angles et des Saxons venus des actuels Pays-Bas et Danemark. Sur place, les Pictes, Scots et Gaëls continuent également leur pression aux frontières et même la renforcent maintenant que les Romains ne sont plus là pour les défendre. Les Bretons ne sont pas assez puissants et ne parviennent pas à stopper ces invasions. Les Angles et les Saxons réussissent à s’implanter dans le sud et l’est, dans les actuels régions du Wessex, du Sussex, de l’Essex et de l’Est-Anglie. C’est d’ailleurs à partir d'un de ces envahisseurs que l’Angleterre tire son nom, la terre/le pays des Angles. Refoulés vers l’ouest, les Bretons parviennent tant bien que mal à résister au Pays de Galles, dans les Midlands et en Cornouaille.

Raids germains sur la bretagne antiquite tardiveCarte des invasions germaniques en Bretagne romaine au cours du Ve siècle

Lorsque l’Empire romain s’effondre en 476, une nouvelle et importante vague migratoire vient frapper la Bretagne et s’étale sur plusieurs décennies. Les royaumes angles et saxons poussent leurs frontières vers l’ouest pour accueillir les nouveaux arrivants et, au nord et à l’ouest, L emigration bretonne en armoriqueles Pictes, Gaëls et Scots continuent de lancer des raids sur les Bretons qui voient leurs structures politiques, sociales et économiques s’effondrer. Si la grande majorité des Bretons parviennent à s’assimiler à cette nouvelle culture, les réfractaires quittent l’île pour le continent. Certains s’arrêtent en Armorique, où vivaient déjà une communauté bretonne, tandis que d’autres font cap plus au sud et accostent en Galice. C’est la deuxième vague migratoire bretonne, une migration sans distinction de métier ou d’origine. Ce serait durant cette époque que la légende du roi Arthur prendrait ses racines, un roi breton qui combat les envahisseurs.

Cette vague dure encore la majorité du VIe siècle, notamment à mesure que les royaumes bretons s’effondrent, par exemple après la bataille de Dyrham en 577. Si les historiens cherchent encore à déterminer la fin de cette vague migratoire, il est de coutume de voir une diminution notoire à partir de la fin du VIe et surtout au VIIe siècle.

Selon les différentes estimations, entre 30 et 50 000 Bretons arrivent dans une Armorique d’environ 100 000 habitants. Ceci s’explique par l’organisation de cette seconde vague, les Bretons partent souvent par clans entiers. Malgré les ressemblances culturelles entre les deux populations d’Armorique, l’installation des Bretons a pour conséquences une métamorphose des structures politiques sur place, qui se traduit par la création de trois royaumes historico-légendaires : la Cornouaille, le Domnonée et le Broërec, plus souvent désignés sous l’appellation de potentat.

Il est toutefois important de mentionner ici les débats sur les causes réelles du départ des Bretons de Grande-Bretagne. S’il est vrai que les pressions générées par la venue de peuple étrangers sont manifestes, d’autres hypothèses existent comme celle d’une dégradation de l’environnement et donc l’envie d’aller vers des terres plus chaudes et fertiles sur le continent.

 

Bateau de bretons accostant en armorique

 

Des traces de l'installation des Bretons en Armorique

Dès le VI-VIIe siècle, la présence en grand nombre des Bretons en Armorique a fait que la péninsule a pris le nom de Bretagne, la terre des Bretons. Elle est parfois appelée la Bretagne continentale ou Petite Bretagne par opposition à la Grande Bretagne outre-Manche.

L’arrivée de ces peuples eut des conséquences bien plus visibles que la reconstruction politique locale. À partir du VIe siècle, des prédicateurs chrétiens venus d’Irlande, et suivant la règle de saint Colomban, arrivent en Bretagne pour évangéliser les dernières populations païennes, notamment dans les campagnes. C’est à ce moment qu’arrivent sept évêques qui sont aujourd’hui connus comme les Sept saints fondateurs, à l’origine des sept évêchés de Bretagne et de la vie religieuse locale. Parmi ces évêques, on retrouve des noms encore connus aujourd’hui comme saint Malo ou saint Brieuc (pour les autres : saint Samson, saint Tugdal/Tugal/Tual, saint Paul/Pol Aurélien, saint Corentin et saint Paterne/Patern).

Saints fondateurs et eveches de bretagne

L’étude des toponymes permet également d’observer l’arrivée de ces populations. Par exemple, des villes et villages écris avec : Plou-, Plo-, Ploe-, Plé-, Pleu- ou Plu- sont typiquement bretons et servent à indiquer la présence d’une paroisse ; les Lan- témoignent de la présence d’un ancien monastère ; les Tré- sont une autre subdivision qui fait suite aux premières paroisses.

Comme les Anglais durant la colonisation de l’Amérique du Nord, les Bretons ont réutilisé des noms de leur patrie d’origine, c’est pour cela qu’il existe une Cornouaille en France et en Angleterre ou une région de Domnonée, actuels Devon et Somerset outre-Manche.

Côté langue, les trois royaumes d’Armorique rassemblent la Bretagne dite bretonnante, parlant une langue celte d’origine britonnique, à l’inverse des habitants de la Bretagne orientale, ou Haute-Bretagne, plus romanisée. C’est avec l’arrivée des Bretons que se crée, par héritages britanniques et métissages avec l’armoricain, le vieux breton, ancêtre lointain du breton actuel.

Fiers de leur histoire et de leur région, les Bretons ont voulu mettre en valeur leurs origines dans les noms de leurs départements. C’est pour cela qu’en 1990, l’ancien département des Côtes-du-Nord (région de Dinan et Quimper) est devenu les Côtes-d’Armor, en souvenir de l’Armorique antique.

Destinée des royaumes bretons

Après leur installation, les royaumes bretons entretiennent des relations plus ou moins cordiales et belliqueuses avec leurs voisins, notamment les rois mérovingiens puis carolingiens. Sous les premiers, les potentats bretons perdent leur statut de royaumes à la fin du Ve siècle en échange d’une paix signée avec Clovis reconnu comme le souverain suprême mais garantissant toutefois leur autonomie vis-à-vis des Francs. Les seigneurs des potentats sont alors assimilables à desGravure de nominoe xixe siecle comtes ou des ducs, même si l’un des seigneurs de Domnonée, Judicaël, dit aussi saint Judicaël, est reconnu comme l’un des premiers rois des Bretons d’Armorique (rex Britannorum), sous le règne de Dagobert Ier en 635.

Sous le règne des Carolingiens, la Bretagne est plusieurs fois attaquée, Pépin le Bref, Charlemagne et Louis le Pieux organisent en effet l'un après l'autre plusieurs invasions qui échouent toutes. Afin de servir de tête de ponts pour d’autres tentatives, et pour se protéger des Bretons qui n’hésitent pas non plus à attaquer les Carolingiens, notamment dans les régions de Nantes et Rennes, Charlemagne a constitué à partir de 778 les Marches de Bretagne, une zone tampon entre Vannes et Dol, comprenant Rennes et Nantes, soit la Haute-Bretagne. Sous le règne de son fils Louis le Pieux, les Francs cherchent à contrôler la Bretagne en installant un noble à la tête des potentats, favorable au pouvoir franc. Louis le Pieux prend parti pour le comte de Vannes Nominoë (illustration ci-contre) en 831. Mais à la mort de Louis, son fils Charles II le Chauve essaie lui aussi de s’emparer de la Bretagne et propose un autre candidat, Renaud d’Herbauges. S’ensuit une guerre entre les deux hommes et lorsque Renaud meurt en 845, Nominoë s’attaque directement à Charles le Chauve. En 851, il prend les Marches de Bretagne mais meurt peu de temps après. Lui succède alors son fils, Erispoë qui combat à son tour le roi franc. En septembre 851, il vainc les troupes de Charles à Jengland et signe un traité de paix, le traité d’Angers, où sont reconnues l’indépendance de la Bretagne et sa constitution en royaume, avec comme premier roi Erispoë.

La destinée du royaume de Bretagne n’est cependant pas très longue. Dès le siècle suivant, elle subit les invasions des Vikings sur ses côtes et celles des Normands à partir du Xe siècle. A force de perdre des terres encore et encore, la Bretagne n’est plus que l’ombre de ce qu’elle était après les conquêtes de Nominoë. De royaume, elle devient alors un duché en 936 et ce statut ne change pas jusqu’en 1547 lorsque la Bretagne intègre le royaume de France sous Henri II.

 

Publié par Adrien RASATA le 27/05/2022

Sources

Ouvrages et articles :

Paris. G. L'Emigration bretonne en Armorique du Ve au VIIe siècle de notre ère, par J. Loth, 1883. In: Romania, tome 13 n°50-51, 1884. pp. 436-441. Disponible sur : www.persee.fr/doc/roma_0035-8029_1884_num_13_50_6322_t1_0436_0000_3

Articles internet :

Articles Wikipédia :

Vidéos YouTube :

  • Episode 7 L’émigration bretonne, par la chaîne BDsevenaduriou, mise en ligne le 5 mai 2014 [en ligne] [visionnée le 27/05/2022] Disponible sur : https://youtu.be/EdPn1O0ePms
  • Histoire de Bretagne : les migrations bretonnes ep 4, par la chaîne John Francis Dooley, mise en ligne le 11 décembre 2017 [en ligne] [visionnée le 27/05/2022]. Disponible sur : https://youtu.be/sZi7ghs8DTw
  • Histoire de la Bretagne en 12 dates essentielles et en 5 min, par la chaîne Vincent Aicardi, mise en ligne le 9 avril 2021 [en ligne] [visionnée le 27/05/2022] Disponible sur : https://youtu.be/TS0hf8h6Kgs
  • L’ORIGINE des BRETONS, par la chaîne Istoerioù Breizh, mise en ligne le 17 septembre 2019 [en ligne] [visionnée le 27/05/2022] Disponible sur : https://youtu.be/SnuvUZpyCus
  • Les Grandes Invasions (épisode 14) : Un séjour mouvementé en Bretagne, par la chaîne HerodoteVideos, mise en ligne le 20 avril 2020 [en ligne] [visionnée le 27/05/2022]. Disponible sur : https://youtu.be/UtOk9GjegTs

Crédits images :

  1. L’émigration bretonne en Armorique, par Adler92190 (édité par Jaybear), Wikimedia Commons. Disponible sur : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:L%27%C3%A9migration_bretonne_en_Armorique.jpg
  2. Reconstitution de soldats bretons au sein des légions romaines en Armorique © La Troupe Letavia. Disponible sur : http://letavia.canalblog.com/albums/groupes_de_reconstitution_/photos/54551929-century.html
  3. Carte des peuples autochtones en Armorique, par Jean-Yves Thomas de Bretagneweb.com. Disponible sur : http://www.bretagneweb.com/histoires/fougeres-histoire.htm
  4. Carte des invasions germaniques en Bretagne romaine au cours du Ve siècle. Auteur inconnu. Disponible sur : https://lhistoiredusoir.com/la-guerre-des-bretons-et-des-anglo-saxons-2.html
  5. L’émigration bretonne en Armorique, par Adler92190 (édité par Jaybear), Wikimedia Commons. Disponible sur : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:L%27%C3%A9migration_bretonne_en_Armorique.jpg
  6. Illustration de navires bretons accostant en Armorique. Auteur inconnu. Disponible sur : http://ja6.free.fr/chapitres/briton.htm
  7. Carte des premiers évêchés lors de l’évangélisation de la Bretagne à partir du Ve siècle, par Jean-Yves Thomas de Bretagneweb.com. Disponible sur : http://www.bretagneweb.com/histoires/treguier-histoire.htm
  8. Gravure de Nominoë par John Tenniel (1860). Disponible sur : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Nom%C3%A9no%C3%AB_(Tenniel).png
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