Les temples d'Abou Simbel
Rares sont les monuments égyptiens qui ne parlent pas à notre imaginaire commun. L’Égypte, c’est l’un des berceaux de l’humanité et de la civilisation européenne, africaine et du Moyen-Orient et c’est tout un ensemble de récits qui ont façonné notre culture. Parmi les nombreux monuments qui ont traversé les siècles jusqu’à nous, les temples d’Abou Simbel font partie des plus extraordinaires, au même temps titre que les pyramides de Gizeh. Ces temples furent construits par Ramsès II au XIIIe siècle avant Jésus-Christ et les colosses qui habitent ses façades le distinguent des autres. Mais pour beaucoup, cela s’arrête ici. Voici donc l’histoire d’un des symboles de l’Égypte, Abou Simbel.
Grand Temple d'Abou Simbel avec les colosses à l'effigie de Ramsès II. ©Bernard MOULIN
Une histoire méconnue et presque tombée dans l’oubli
Situés sur les bords du Nil, à proximité de l’actuel Soudan et de l’ancienne région de Nubie, les temples d’Abou Simbel font partie des grands lieux de l’Égypte, en particulier de l’Égypte antique. Leurs origines remontent à la XIXe siècle dynastie égyptienne, plus précieusement au règne de Ramsès II entre 1279 et 1213 avant J.C. Ramsès est l’un des souverains les plus connus de cette période et les temples d’Abou Simbel font partie des hauts lieux historiques, archéologiques et touristiques de l’Égypte. Cependant, la date précise de sa construction fait débat. Si la durée des travaux fait consensus, une vingtaine d’années, pour la période de construction, les archéologues hésitent entre 1266 et 1246 ou 1244 et 1224 avant J.C.
La construction de ces édifices répond à une logique ancienne et encore d’actualité, laisser une trace dans la pierre de son passage sur terre, de ses réussites et de son statut, à l’image notamment des fameuses pyramides de Khéops, plus au nord. Ramsès II, tout comme les autres pharaons qui l’ont précédé, est considéré comme un dieu. De la sorte, il apparaît naturel pour les Égyptiens d’élever des temples gigantesques pour leur souverain. Abou Simbel répond à cette première raison. La seconde, est purement politique et s’apparente à ce que l’on désigne aujourd’hui comme de la propagande d’État. En 1274 avant J.C, Ramsès vient de rentrer d’une campagne militaire contre le royaume des Hittites, dans les actuelles Turquie et Syrie. La bataille de Qadesh est annoncée comme une immense victoire contre l’un des grands ennemis des Égyptiens. En réalité, on sait aujourd’hui qu’il s’agit d’un match nul mais chaque belligérant revendique la victoire. Pour la célébrer, il fait ériger un temple où l’iconographie représente ses faits d’armes. En plus des compagnes dans le nord, celles du sud, contre la Nubie, terre riche en or et une zone commerciale de première importance, ont également occupé le souverain. Par sa position géographique, le temple sert à rappeler aux Nubiens l’hégémonie du pouvoir égyptien.
Carte (en anglais) des principaux sites touristiques de l'Égypte antique. Abou Simbel est le site le plus sud sur la carte.
De la sorte, pendant des siècles et des siècles, les temples d’Abou Simbel ont servi de démonstration du pouvoir pharaonique jusqu’à leur disparition, sans explication, recouverts par les sables du désert. Il faut attendre 1813 pour qu’Abou Simbel retrouve les rayons du soleil. L’historien suisse Jean Louis Burckhardt entend parler de vieilles ruines au détour du Nil. Lorsqu’il arrive sur place, il tombe sur les têtes des colosses. Mais son action s’arrête là et c’est son confrère italien, Giovanni Batista Belzoni qui fait le plus gros du travail, en 1817. À ses heures perdues, Belzoni est un explorateur comme le XIXe siècle en connait des centaines. Cependant, il comprend, en commençant à dégager les têtes d’Abou Simbel, qu’il est sur un édifice exceptionnel. Le 12 août 1817, les temples d’Abou Simbel sont dégagées. Au passage, Belzoni, en bon explorateur, appose sa marque sur la pierre, au milieu des hiéroglyphes.
Un autre mystère d’Abou Simbel, dont les historiens n’arrivent pas à expliquer l’origine, c’est le nom même du site. Certains affirment qu’il s’agit du nom ancien des temples mais d’autres pensent que ce serait plutôt le nom d’un enfant égyptien qui aurait aidé Burckhardt ou Belzoni à trouver le site. Malgré tout, le nom est aujourd’hui adopté par tous.
Illustration de David Roberts, lithographie, XIXe siècle
Grand et petit temple, des joyeux architecturaux
Bien que l’on dise souvent le temple d’Abou Simbel, il s’agit en réalité d’un complexe de deux temples, sobrement appelés le Grand Temple et le Petit Temple. Toutefois, on peut aussi les désigner comme, respectivement, les temples de Ramsès et de Néfertari-Hathor. Ces derniers sont faits de la même manière : à flanc de colline, avec une façade ornée de statues géantes et des salles intérieures construites dans la colline.
Plan et descriptif du site d'Abou Simbel
Le Grand Temple
Le Grand Temple est sans doute l’emblème d’Abou Simbel. Il est celui que les touristes du monde entier viennent voir en priorité. Il se compose de deux ensembles, la façade ou partie extérieure, et l’intérieur du temple. Visible depuis le Nil, la partie extérieure se caractérise par la présence de quatre colosses de 21 mètres de haut, pour un temple d’environ 30 mètres sur 35 mètres de large. Ces colosses assis, une particularité de ce temple, sont tous à l’effigie de Ramsès II. On remarque la présence des parements ou attributs du pouvoir avec la double couronne, la pschent, la perruque royale ou némès, ainsi que la barbe postiche et l’uræus, le cobra royal qui trône sur le front du souverain. Ils montrent sa grandeur et le place à l’égale des dieux. À leurs pieds se trouvent de plus petites statues représentant les femmes et enfants de Ramsès ainsi que des bas-reliefs religieux ou montrant des scènes à sa gloire.
À l’intérieur, le temple est divisé en deux ensembles, une première pièce, appelé pronaos selon la dénomination attribuée aux temples très similaires de Grèce, et une seconde, le naos. Dans la première, on peut observer huit petits colosses représentant encore une fois Ramsès et cette fois, on observe des scènes de combats qui racontent la « victoire » de Qadesh. Ramsès y est montré en souverain conquérant avec une armée organisée face à des Hittites désordonnés. Dans le naos, quatre autres statues gisent, elles aussi assises, face au visiteur. Cette fois, il s’agit de représentations de trois dieux, afin de rappeler l’origine religieuse du lieu. Ramsès s’est encore une fois fait construire une statue et, à ses côtés, on trouve Ptah, dieu des ténèbres ou du monde souterrain, Amon-Rê, le roi des dieux et Ré-Horakhty, le dieu du soleil-levant.
Vue en contre-plongée de l'un des colosses d'Abou Simbel. On peut y voir des inscriptions hiéroglyphiques ainsi qu'une statue féminine au pied de Ramsès
Pronaos du grand temple d'Abou Simbel
Il est à ce moment pertinent de mentionner l’une des prouesses architecturales des Égyptiens concernant ce temple. Ce dernier est orienté sud-est et, de ce fait, le soleil du matin vient illuminer la façade mais également l’intérieur du temple, deux jours dans l’année, les 22 février et les 22 octobre. Ces jours correspondent à l’anniversaire de Ramsès et au jour de son couronnement. Lors de ces deux jours, le soleil vient éclairer l’intérieur du naos pour montrer le lien entre Ramsès et le soleil sacré. Mais le plus extraordinaire, c’est que sur les quatre statues, seule celle de Ptah reste dans l’ombre, conformément à son rôle de dieu des ténèbres.
Naos du grand temple d'Abou Simbel. On y découvre les quatre statues, en partant de la gauche, de Ptah, Amon-Rê, Ramsès et Rê Horakhty, les trois dernières ensoleillées deux fois dans l'année
Le Petit Temple
À seulement quelques dizaines de mètres du Grand Temple, se dresse un autre, plus modeste, le Petit Temple. Il n’est que de 12 mètres de haut pour 28 mètres de large. Il possède lui aussi des statues, 6 exactement, mais celles-ci debout. Elles représentent Ramsès et sa femme favorite, Néfertari. Contrairement à ce qui se fait habituellement, la reine est à la même hauteur que le pharaon. Sur le Grand Temple, les statues féminines y sont presque 4 fois plus petites que les colosses. Mais tout comme son voisin, le temple de Néfertari possède un ensemble de symboles religieux associés à la déesse de la maternité et de l’Amour, Hathor. À ce titre, lorsque la reine meurt, elle est défiée et associée au culte d’Hathor.
Façade du Petit Temple ou de Néfertari-Hathor (tout à droite sur l'image)
Le sauvetage d'Abou Simbel
Et si je vous disais que les temples que vous observez aujourd’hui ne sont pas ceux de Ramsès ? Enfin si, mais pas exactement. Lorsque le pharaon décide de faire construire ses temples, ces derniers sont assez loin du Nil. Or, en 1960, le président égyptien Gamal Abdel Nasser décide de faire construire un nouveau barrage près d’Assouan. Ce dernier vise à fournir le pays en électricité et à développer l’agriculture du sud de l’Égypte. Mais ce faisant, il crée un immense lac de rétention, le lac Nasser, long de plusieurs centaines de kilomètres qui risque d’enfouir sous plusieurs dizaines de mètres d’eau les nombreux vestiges archéologiques qui se trouvent le long du Nil, dont Abou Simbel. Pour sauver le site, un plan d’aides internationales est lancé la même année. Une trentaine de pays décident de participer.
Plusieurs projets ont été mis sur pied comme celui de déplacer les temples d’un seul bloc, le mettre sur une chappe de verre pour en faire une attraction sous-marine, ou bien construire une digue pour protéger le temple. Finalement, ce qui fut décidé c’est le déplacement des temples non pas d’un seul bloc mais en les découpant en plusieurs morceaux pour les positionner plus en hauteur, tout en gardant la même orientation, soit 65 mètres plus en hauteur et à 210 mètres de leur emplacement d’origine. Les statues furent sciées en plusieurs blocs, parfois avec l’aide de charges explosives faites par des ingénieurs de pointe. Pour que tout se fasse au mieux, les meilleurs ingénieurs, archéologues et historiens du monde entier ont été missionnés. En tout et pendant près de 4 ans, entre 1964 et 1968, ce sont plus de 1 000 blocs qui ont été réalisés, rien que pour le Grand Temple. Ils furent dument répertoriés et numérotés puis replacés à leur position exacte. Pour certains spécialistes, il s’agit de l’œuvre du siècle. En outre, il a fallu recréer une montagne artificielle pour recréer la topographie du site originel. La nouvelle montagne rassemble à la fois de la vraie pierre mais aussi une structure interne bétonnée pour renforcer l’équilibre et la solidité.
Photographie du chantier de sauvetage des temples d’Abou Simbel
Le sauvetage d’Abou Simbel fut une réussite en tout point. Le résultat est bluffant. De la résine a été utilisée pour maintenir l’intégrité de la pierre et pour préserver le résultat final, une structure métallique fut installée dans les colosses. Il convient de mentionner qu’il s’agissait bien d’une œuvre de transport et non de restauration. En effet, lors d’un tremblement de terre qui eut lieu bien avant les années 1960, la tête d’un des colosses était tombée et les fragments étaient restés au sol. Ces derniers ont été remis au même endroit dans le nouveau temple. Selon les estimations, cette œuvre de sauvegarde aurait coûté 40 millions de dollars, dont la majorité fut investis par l’Égypte.
Cette opération a marqué son temps mais également les consciences. Les temples d’Abou Simbel dépassent leur seul contexte égyptien, ils parlent à l’ensemble du monde, aussi bien les experts que les amateurs d’histoire ou d’archéologie. Ainsi, inspirée par cette œuvre collective de préservation, l’Organisation des Nations unies décident de constituer en 1972 la « Convention pour la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel », auquel se rajoute le comité du patrimoine mondial en 1978, rattaché à l’UNESCO (Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture). Motivés par la réussite d’Abou Simbel, d’autres projets de sauvegarde de temples le long du Nil ont eu lieu comme celui de Philae ou d’Amada. Depuis, le patrimoine mondial s’est étendu à tout le reste du monde et protège des milliers de sites historiques préservant ainsi la mémoire architecturale de l’humanité.
Vue de la façade du Grand Temple, en images de synthèses, colorisées par l'entreprise ©Mozaic Education
Publié par Adrien RASATA, le 12/07/2025
Sources
Articles internet :
- Atypika Tours. (2025, 20 février). Le temple d’Abou Simbel : histoire et défis | Atypika, spécialiste du voyage culturel à Montréal. Atypika, Spécialiste du Voyage Culturel À Montréal. [en ligne] Consulté le 12 juillet 2025, à l’adresse https://atypikatours.com/blog/egypte-abou-simbel-histoire/
- Centre du patrimoine mondial de l’UNESCO. (s. d.). Travailler ensemble : Abu Simbel. UNESCO.org. [en ligne] Consulté le 12 juillet 2025, à l’adresse https://whc.unesco.org/fr/histoires-abu-simbel/
- La Route des Voyages. (s. d.). Les Temples d’Abou Simbel : Joyaux de l’Egypte Antique. [en ligne] Consulté le 12 juillet 2025, à l’adresse https://www.laroutedesvoyages.com/lieux-interet/les-temples-d-abou-simbel
- Mark, J. J. (2018, mai 09). Abou Simbel [Abu Simbel]. (C. Martin, Traducteur). World History Encyclopedia. Extrait de https://www.worldhistory.org/trans/fr/1-287/abou-simbel/
Articles de presse :
- Keshishian/Ngs, J. (2025, 29 janvier). En 1960, la construction d’un nouveau barrage sur le Nil menaçait les temples d’Abou Simbel et d’autres trésors antiques. Un effort international, supervisé par l’UNESCO, a permis de les sauver. National Geographic. {en ligne] Consulté le 12 juillet 2025 à l’adresse https://www.nationalgeographic.fr/histoire/archeologie-sauvegarde-patrimoine-mondial-unesco-incroyable-mission-qui-a-permis-de-sauver-les-temples-abou-simbel
Article Wikipédia :
- Contributeurs aux projets Wikimedia. (2025a, février 1). Temples d’Abou Simbel. Wikipédia. [en ligne] Consulté le 12 juillet 2025, à l’adresse https://fr.wikipedia.org/wiki/Temples_d%27Abou_Simbel
Vidéos YouTube :
- Abou Simbel, une mégastructure hors nome de l’Egypte Antique, sauvée par la technologie, par la chaîne RMC DECOUVERTE, mise en ligne le 13 août 2023 [en ligne] [visionnée le 12/07/2025]. Disponible sur : https://youtu.be/eA3mMhgyRX0
- Egypte, les temples sauvés du Nil – Le lac Nasser – Abou Simbel – Documentaire complet, par la chaîne Un Max de Patrimoine & Découvertes, mise en ligne le 21 juin 2023 [en ligne] [visionnée le 12/07/2025]. Disponible sur : https://youtu.be/VR2WIkYp9N4
- Les quatre statues colossales de Ramsès II, tournées vers le Nil, par la chaîne Nat Geo France, mise en ligne le 16 janvier 2022 [en ligne] [visionnée le 12/07/2025]. Disponible sur : https://youtu.be/XW_8po450Mk
Crédits images :
- Photographie de la façade du Grand Temple d’Abou Simbel. ©Bernard MOULIN. Tous droits réservés. Disponible sur : https://www.dna.fr/magazine-tourisme-et-patrimoine/2023/04/08/le-soleil-d-abou-simbel
- Carte des principaux sites archéologiques d’Egypte. Auteur et source inconnus. Disponible sur : https://3.bp.blogspot.com/-Ds0ip5w63fU/UIoQFehC8zI/AAAAAAAACTk/uPRzS0N6xCI/s1600/egypt_map.jpg
- Illustration de la découverte d’Abou Simbel au XIXe siècle. Lithographie par David Roberts. Disponible sur : https://www.oldbookillustrations.com/illustrations/great-temple-abu-simbel/
- Plan du site d’Abou Simbel. Auteur et source inconnus. Disponible sur : http://www.cousinieb.fr/Egypte%202009/carte%20Abou.jpg
- Photographie anonyme d’un colosse de Ramsès II devant le Grand Temple. Disponible sur : https://fr.dreamstime.com/abou-simbel-colosse-rams%C3%A8s-ii-grand-temple-%C3%A9galement-appel%C3%A9-soleil-pr%C3%A8s-d-assouan-en-%C3%A9gypte-image167885312
- Photographie anonyme du pronaos du Grand Temple d’Abou Simbel. Disponible sur : https://pensees-de-voyage.com/visiter-temples-de-nubie-philae-kalabsha-abu-simbel/
- Photographie anonyme du naos du Grand Temple d’Abou Simbel. Disponible sur : https://www.passion-egyptienne.fr/Abou%20Simbel.htm
- Photographie du Petit Temple d’Abou Simbel. Licence creative Commons par Futura-sciences. Disponible sur : https://www.futura-sciences.com/planete/photos/voyage-voyage-egypte-temps-pharaons-616/egypte-petit-temple-abou-simbel-3028/
- Photographie du chantier de sauvetage des temples d’Abou Simbel. Auteur et source inconnus. Disponible sur : https://lesavoirperdudesanciens.com/2018/09/le-sauvetage-des-temples-dabou-simbel-a-50-ans/
- Vue de la façade du Grand Temple, en images de synthèses, colorisées par l'entreprise ©Mozaic Education. Disponible sur : https://www.mozaweb.com/fr/Extra-Scenes_3D-Les_temples_d_Abou_Simbel-528557
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