Émilie du Châtelet

Émilie du Châtelet est une figure peu connue de l’histoire de France en dehors de son statut d’amante du philosophe Voltaire. Cependant, depuis quelques années, le renouveau des études historiques a mis en avant son parcours dans un domaine atypique pour une femme du XVIIIe siècle, les sciences. Traductrice des Principes mathématiques de Newton, monument de la discipline, et introductrice des mathématiques de Leibniz en France et en Europe, elle est une figure incontournable du monde scientifique, d’hier comme d’aujourd’hui. Au cours de sa vie, Émilie du Châtelet a su se défaire de son statut de femme en côtoyant les plus grands scientifiques de son temps et en intégrant elle-même le cercle restreint de gens de science. Coutumière des salons scientifiques comme des cours princières, elle a fasciné son temps par son esprit raffiné et réfléchi, aussi bien dans les langues, comme le latin de Newton ou l'allemand de Leibniz, que les mathématiques et la physique. Retour sur celle que l’on considère comme la première scientifique française et l’une des mères fondatrices des mathématiques modernes.

 

Emilie du chatelet par maurice quentin de la tour

Emilie du Châtelet par Maurice Quentin de la Tour (XVIIIe siècle)

 

Une enfance noble et éclairée

Gabrielle Émilie le Tonnelier de Breteuil naît en 1706 dans une famille de la noblesse de robe, son père est chargé d’introduire les ambassadeurs et émissaires étrangers auprès du roi Louis XIV à Versailles (officier introducteur des Ambassadeurs). Emilie du chatelet par nicolas de largilliere 1

Peu conventionnel, son père l’éduque comme ses frères. Il engage des précepteurs qui lui enseignent les langues étrangères comme l’italien et l’allemand, ainsi que le latin et le grec, les mathématiques, la physique, le théâtre, le chant et reçoit aussi des leçons d’équitation. Elle se révèle d’une grande intelligence, polyglotte à 12 ans, et possède une appétence particulière pour la philosophie naturelle, l’ancêtre de ce que sont aujourd’hui les sciences. Son père, afin de cultiver l’esprit de ses enfants entretient une petite cour littéraire. Parmi les visiteurs de la famille, Émilie reçut des leçons du mathématicien et scientifique Bernard Le Bouyer de Fontenelle. Un certain Voltaire aurait également visité les de Breteuil.

Fille de la noblesse, elle apprend aussi les us et coutumes de la Cour. Lors d’un voyage à Paris, elle découvre la vie à la cour de Paris sous le règne du Régent Philippe d’Orléans (1714 – 1723). Le raffinement de cette vie mondaine, des tenues comme des mœurs envoûtent Émilie qui développe une passion pour ce monde et ce mode de vie.

En 1725, à 19 ans, elle épouse dans un mariage arrangé le marquis Florent Claude du Châtelet, âgé de 31 ans. De ce mariage naissent trois enfants. D’un commun accord, les époux décident de vivre séparément. Le mari, soldat de métier, est plus souvent sur les champs de bataille que dans sa maison et considère le devoir conjugal d’Émilie comme accompli avec la naissance d’un fils en 1727. Il lui laisse toute liberté pour vaquer à ses occupations, la vie mondaine, où elle entretient de nombreux prétendants, et les sciences.

 

Femme de cour et femme de science

Autodidacte, elle prend contact avec les savants de son temps comme Pierre Louis Moreau de Maupertuis, mathématicien, physicien et membre de l’Académie des Sciences. Il lui enseigne les mathématiques et devient son amant. Grâce à lui, elle entre, de manière cependant relative, dans le monde scientifique français. C’est à ce moment qu’elle découvre le premiers écrits d’Isaac Newton.  À cause de son statut de femme, elle ne peut pas assister aux conférences de l’Académie, ni entrer dans les salons où se retrouvent les scientifiques, en particulier le café Gradot à Paris. Mais un jour, elle franchit le pas. Elle se travestit en homme et accompagne son amant Maupertuis. Elle se fait vite remarquer comme un esprit vif et plein de ressources et devient une habituée du salon. Voltaire par maurice quentin de la tour xixe siecle

C’est au cours d’une de ces soirées, qu’elle rencontre le philosophe Voltaire (portrait ci-contre), en 1734. Ils tombent follement amoureux l’un de l’autre. Une alchimie particulière s’installe presque immédiatement entre les deux amants. Chacun est attiré par l’esprit de l’autre.

À partir de 1735, Émilie du Châtelet accueille Voltaire dans son château de Cirey, en Lorraine. Sur proposition de Voltaire, elle fait rénover le château, y ajoute une aile et fait construire une bibliothèque où se retrouve le couple pour se plonger dans des traités scientifiques et philosophiques. Parmi les nombreux ouvrages, Émilie s'intéresse à ceux de Newton, dont les travaux ont été rapportés d’Angleterre par Voltaire. Plus adroite que le philosophe pour ce qui est des sciences, c’est Émilie qui enseigne à Voltaire les mathématiques de Newton, alors écrites en latin. De son côté, Voltaire enseigne la philosophie à son amante.

En 1737, les deux savants participent, chacun de leur côté, au concours de l’Académie des Sciences en envoyant une dissertation sur le thème de la nature du feu. Du Châtelet envoie un mémoire de 139 pages. Ni elle ni Voltaire ne gagne le premier prix mais ses travaux, malgré son statut de femme, sont reconnus par l’Académie et reçoivent une mention honorable. Ils sont même sujets à une publication par l’Académie quelques années plus tard, une première en France et dans le monde.

Ses travaux et son lien avec Voltaire l’amènent à rencontrer d’autres scientifiques de son temps, comme Alexis Claude Clairaut, dont certains viennent de l’étranger comme Leonhard Euler, Daniel Bernoulli, venus de Suisse, ou encore le mathématicien allemand Samuel König. C’est au contact de ce dernier qu’elle apprend les travauxInstitutions de physique par emilie du chatelet de l’Allemand Gottfried Wilhelm Leibniz (1646 – 1716) (l’un des pères des mathématiques modernes : créateur de la dérivé, de l’intégration, et de la physique : formule de l’énergie cinétique). En 1740, elle publie un traité, ses Institutions de physique (frontispice ci-contre), où elle met en avant les travaux de Leibniz et favorise leur diffusion, notamment la formule de l’énergie cinétique, prise dans un débat qui l’opposait à René Descartes. L’ouvrage a un immense succès et il est traduit en plusieurs langues à partir de 1745. L’année suivante, elle devient membre de l’Académie des Sciences de Bologne, seule académie à accepter les femmes. Quand elle ne les rencontre pas, Émilie du Châtelet communique avec des scientifiques de toute l’Europe comme Georges-Louis Leclerc de Buffon ou Charles Marie de la Condamine.

En dehors des cafés scientifiques et des rencontres entre savants, Émilie du Châtelet fréquente aussi les cours royales et princières de France comme celle des Tuileries à Paris, de Versailles, celle de la duchesse du Maine Anne-Louise-Bénédicte de Bourbon, et celle de Stanislas Leszczynski, duc de Lorraine, à Lunéville. Moquée par certaines aristocrates comme la baronne de Staal Marguerite de Launay ou Madame de Deffand pour son penchant pour les sciences, jugées peu « féminines », Émilie du Châtelet parvient à s’extraire des potins de cour et à poursuivre ses avancées scientifiques.

 

La traduction de travaux d’Isaac Newton, œuvre d’une vie et héritage

En 1745, elle se lance dans un travail titanesque, la traduction du Philosophiae naturalis principia mathematica (« Les principes mathématiques de la philosophie naturelle ») d’Isaac Newton, publié une première fois en 1687 et réédité en 1726. Grâce à ses connaissances du latin et des mathématiques, elle met au propre le traité de Newton qui était au départ confus, brouillon, sans aucune norme scientifique ni rédactionnelle, mais à l’apport théorique inégalé. Elle y rajoute des commentaires et ses propres observations, ce qui en fait une œuvre nouvelle. Principes mathematiques de la philosophie naturelle 1749

En 1748, elle met un terme à sa relation amoureuse avec Voltaire, tout en restant des amis proches, et entreprend une liaison avec Jean-François de Saint-Lambert, dont elle tombe enceinte. Sentant sa fin proche, due à son âge et au danger de l’accouchement à l’époque, elle termine dès que possible la rédaction de sa traduction après avoir accouché le 4 septembre 1749 d’une fille, Stanilas-Adélaïde à Lunéville. Elle envoie immédiatement le manuscrit à la Bibliothèque royale avant de rendre l’âme quelques jours plus tard, le 10 septembre. L’œuvre est publiée à titre posthume en 1759, grâce à la relecture de plusieurs savants, dont Voltaire qui rédige la préface.

Sa traduction des principes mathématiques de Newton a eu un retentissement sans précédent dans le monde scientifique européen. Écrit en français, il est massivement diffusé sur le continent grâce au statut de langue internationale que possède le français. Son œuvre est telle que les corrections apportées par du Châtelet sur les travaux du scientifique anglais sont encore utilisées aujourd’hui. Ce sont ses formules qui sont appliquées et enseignées pour les élèves et les scientifiques.

Après sa mort, sa postérité est assurée par Voltaire grâce à ses lettres et ouvrages dont l’Éloge historique de Madame la Marquise du Châtelet qu'il publie en 1752.

En souvenir de la chercheuse, l’Institut Émilie-du-Châtelet est créé en 2006 afin de promouvoir le développement des études sur les femmes et le genre.

 

Emilie du chatelet par marianne loir 1748

Emilie du Châtelet par Marianne Loir (1748)

 

Liste non-exhaustive des travaux d’Émilie du Châtelet

  • Mémoire sur la nature du feu (1739)
  • Institution de Physique (1740)
  • Analyse de la physique de Leibniz (1740)
  • Dissertation sur la nature et la propagation du feu (1744)
  • Les Principes de Newton (1756 et 1759 pour l’édition définitive)
  • Principes mathématiques de la philosophie naturelle (1766)

Publié par Adrien RASATA, le 31/07/2022

Source

Articles internet :

Vidéos YouTube :

  • Aristophil présente : Emilie du Châtelet, une mathématicienne à l’heure des Lumières par la chaîne Aristophil, mise en ligne le 17 mars 2014 [en ligne] [visionnée le 11/12/2021] Disponible sur : https://youtu.be/TYK25nivATg
  • Emilie du Châtelet par la chaîne Studies Weekly, mise en ligne le 14 mai 2015 [en ligne] [visionnée le 11/12/2021] Disponible sur : https://youtu.be/hS0nNgVlPJE
  • La passionnée – Emilie du Châtelet – Sur les épaules de géantes #7 par la chaîne Sur les épaules des géantes, mise en ligne le 23 octobre 2019 [en ligne] [visionnée le 11/12/2021] Disponible sur : https://youtu.be/ZqxS-muFxvE
  • Newton était une femme ! Emilie du Châtelet – Les femmes dans l’Histoire #2 par la chaîne ArgosRaconte, mise en ligne le 7 janvier 2018 [en ligne] [visionnée le 11/12/2021] Disponible sur : https://youtu.be/RVJkswIZcbw

Crédits images :

  1. Émilie du Châtelet par Maurice Quentin de la Tour (XVIIIe siècle). Wikipédia Commons Disponible sur : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Emilie_Chatelet_portrait_by_Latour.jpg
  2. Gabrielle Émilie Le Tonnelier de Breteuil, marquise du Châtelet. Portrait par Nicolas de Largillière vers 1740. Disponible sur : https://pg-astro.fr/livres-anciens/voltaire-melanges-de-philosophie.html
  3. François-Marie Arouet, dit Voltaire par Maurice Quentin de la Tour (première moitié du XIXe siècle). Wikipédia Commons Disponible sur : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:D’après_Maurice_Quentin_de_La_Tour,_François-Marie_Arouet,_dit_Voltaire_(château_de_Versailles).jpg
  4. Frontispice des Institutions de physique par Émilie du Châtelet (1740). Disponible sur : https://www.ameliesourget.net/produit/chatelet-madame-du-institutions-de-physique-1740/
  5. Frontispice des Principes mathématiques de la philosophie naturelle par Émilie du Châtelet (1759). Wikipédia Commons .Disponible sur : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Principes_math%C3%A9matiques_de_la_philosophie_naturelle,_I.djvu?uselang=fr
  6. Portrait de Émilie Le Tonnelier de Breteuil, marquise du Châtelet par Marianne Loir (vers 1748). Wikipédia Commons Disponible sur : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Le_Tonnelier_de_Breteuil,_Emilie.jpg

  • Aucune note. Soyez le premier à attribuer une note !

Ajouter un commentaire