1539 - Ordonnance de Villers-Cotterêts

Entre les 10 et 25 août 1539, François Ier fait édicter une ordonnance de 192 articles intitulées « Ordonnan du Roy sur le fait de justice », plus connue aujourd’hui comme l’ordonnance de Villers-Cotterêts, lieu où se trouvait le roi à ce moment-là. Elle a pour objectif de réorganiser le royaume pour une meilleure administration des actes judiciaires et administratifs mais est surtout entrée dans l’histoire comme l’acte instaurant le français comme langue de l’administration et de la justice au sein du royaume de France à travers ses célèbres articles 110 et 111, ainsi que l’instauration du premier état civil.

Elle est l’œuvre du chancelier de France Guillaume Poyet, ce qui lui vaut à l’ordonnance le surnom de « Guillemine ou Guilelmine ». Il ne reste aujourd’hui que deux exemplaires originaux de cette ordonnance. Ils sont conservés aux archives départementales des Bouches-du-Rhône à Aix-en-Provence et à celles de l’Isère à Grenoble.

Ordonnance de villers cotterets

Première page de l'ordonnance de Villers-Cotterêts du 15 août 1539

Du latin de la tradition au français de la modernité

Jusqu’à présent, l’administration et la justice étaient écrites en latin, langue véhiculaire (comme l’anglais aujourd’hui) dans un royaume où chaque région avait sa langue, en plus de la division entre langue d’oïl et langue d’oc. L’utilisation du latin permettait de gommer les difficultés linguistiques. D’autre part, la majorité des administrateurs, en particulier au Moyen Âge, était issue du clergé, car pour être un François Ier (1494-1547), fils de Charles de Valois-Orléans et de Louise de Savoie (portrait de Jean Clouet).bien officier, celui qui tient un office, une charge, il fallait savoir lire, écrire, le tout en latin, et dans une certaine mesure compter. Avec l’ordonnance de 1539, François Ier (portait) remplace le latin par le français, plus précisément, au français parlé à la Cour de Paris, celui du roi. Il faut ici comprendre le français de l’époque, aussi appelé le moyen français ou français classique. Tous les actes juridiques, judiciaires et administratifs doivent désormais être rédigés en « langue maternelle française et pas autrement ». Les langues régionales comme l’occitan (sud, sud-ouest de la France) ou le franco-provençal (Dauphiné) doivent être évitées, mais continuent d’être parlées dans les conversations courantes.

Cette ordonnance a pour objectif de faciliter l’administration du royaume qui est de plus en plus vaste et donc difficile à gouverner. Le roi affirme ainsi son autorité sur son territoire avec des sujets qui utilisent la langue du roi pour vivre. Le souverain a également un meilleur contrôle de la vie de ses sujets car il comprend plus facilement les tenants et aboutissants de chaque situation, notamment dans les affaires judiciaires. D’autre part, le latin était de plus en plus mal compris par les Français. Les interprétations parfois hasardeuses laissaient la porte ouverte à des désordres et des dangers, en particulier religieux, pour l’ordre public.

 

 

                                                                                      http://www.patrimoine-environnement.fr/wp-content/uploads/2017/05/villers-cotterets.jpg

Châreau de Villers-Cotterêts

La progressive utilisation du français dans les écrits officiels

L’ordonnance de Villers-Cotterêts n’est pas inédite. Elle est dans la continuité d’une politique de francisation, et d’utilisation de la langue vulgaire, du royaume à partir du XIIe siècle. En effet, c’est à cette époque que sont écrites les premières chartes urbaines en langue vulgaire, c’est-à-dire en langue parlée par le peuple, le vulgus. À partir du XIIIe siècle, c’est au tour des décrets royaux d’être écrit en langue vulgaire et à quelques écrits de penseurs et premiers scientifiques. Cela est d’abord fait à tâtons, seulement quelques documents par an et tout le monde ne maitrisent pas la langue de la région. Au XIVe siècle, la situation change avec des politiques royales qui mettent en avant la langue vulgaire, ou vernaculaire, comme un outil d’identité nationale. Charles V (1364 – 1380) fait alors traduire en français les grands livres de sciences en français pour en faire une langue savante, notamment les œuvres d’Aristote sur l’éthique et la politique par Nicolas Oresme et le Policraticus de Jean de Salisbury par Denis Foulechat au début des années 1370. Le projet se poursuit ensuite tout au long des XVe et XVIe siècles.

Au départ, les souverains font le choix de laisser libre cours aux langues régionales comme le fait Charles VII en 1454 en faisant traduire les coutumes juridiques, alors orales, en langues du peuple et non en latin. Ses successeurs, Charles VIII en 1490, et Louis XII en 1510, lui emboitent le pas. Mais c’est bien avec François Ier que le choix est fait de se concentrer sur le français. La transition met du temps à se mettre en place et ce que sous la Révolution française que le français devient la langue officielle du royaume et de tous les écrits.

                                                                                                                                                File:Ordonnance de Villers Cotterets. Page 1 - Archives Nationales - AE-II-1785.jpg

Page de titre de l'ordonnance de Villers-Cotterêt

Langue du roi puis langue des Français et langue d'Etat

La mesure est ensuite reprise dans les conditions républicaines. Le français devient la langue parlée et celle enseignée à l’école grâce aux lois Ferry de 1881-1882. Dans la modification de la Constitution de 1992, l’article 2 stipule que « la langue de la République est le français » et en 1994 on rajoute qu’il est « la langue […] des services publics ». 

Il faut toutefois prendre aux généralités sur l’ordonnance de Villers-Cotterêts. Même si le français est déclaré langue de l’administration et de la justice, la formulation « langue maternelle française » laisse encore supposer une utilisation des patois locaux. Certains juristes ont fait ce choix. L’ambiguïté est finalement abolie avec la Révolution française.

Instauration de l'enregistrement des Français et premier état civil

En plus de la transition linguistique, l’ordonnance de 1539 instaure aussi l’enregistrement systématique des baptêmes dans les registres paroissiaux avec mention de l’heure de la naissance et de la mort. C’est le début de l’état civil qui fait foi devant la loi. Cependant, en prenant en compte le baptême, la loi exclut de fait les juifs, les excommuniés, les mort-nés, puis les musulmans les siècles suivants, de toute existence juridique.

 

Villers-Cotterêts et la francophonie

L'héritage linguistique et culturelle de l'ordonnance de Villers-Cotterêts sont aujourd'hui remis à l'honneur par le pouvoir français. En effet, à l'heure où la puissance d'un Etat ne se mesure plus uniquement grâce à son poids économique et/ou politique, la culture apparaît comme un nouveau levier d'attraction et de représentation. En 2018, le président Emmanuel Macron lance le projet de faire de la ville de Villers-Cotterêts le centre international de la francophonie, avec la création au sein du château de la Cité internationale de la francophonie. Ce dernier est en pleine restauration après un abandon de plusieurs siècles et une utilisation en tant qu'asile pour mendiants sous Napoléon Ier puis en maison de retraite. Censé incarner le développement et la richesse de la langue française, le château a pour but d'accueillir expositions, événements culturels et visites pour des groupes scolaires. Les travaux arrêtés pendant un temps à cause de la crise de la COVID-19, le château compte ouvrir ses portes d'ici le printemps 2022.

 

 

 

Publié par Adrien RASATA le 30/11/2021

Sources et sitographie

Articles internet :

Articles de presse :

Vidéos YouTube :

  • INTEGRALE – Destination Francophonie – DESTINATION VILLERS-COTTERÊTS par la chaîne TV5MONDE, mise en ligne le 2 novembre 2020 [en ligne] [visionnée le 25/11/2021]. Disponible sur : https://youtu.be/95xwAJxovGM
  • L'ordonnance de Villers-Cotterêts : En Français, et non autrement ! par la chaîne Post Scriptum – Podcast, mise en ligne le 26 octobre 2020 [en ligne] [visionnée le 25/11/2021]. Disponible sur : https://www.youtube.com/watch?v=V8uN6nVStmE

Crédits images :

1) Première page de l'ordonnance de Villers-Cotterêts du 15 août 1539. Photographie par François Barby. Disponible sur : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Villers-Cot.jpg
2) Portrait de François Ier par Jean Clouet (années 1510). Disponible sur https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Francois_Ier_by_Jean_Clouet.jpg
3) Vue aérienne du château de Villers-Cotterêts. Auteur inconnu. Disponible sur : http://www.patrimoine-environnement.fr/quel-avenir-pour-le-chateau-de-villers-cotterets/
4) Page de titre de l'ordonnance de Villers-Cotterêts. Archives nationales. Disponible sur : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Ordonnance_de_Villers_Cotterets._Page_1_-_Archives_Nationales_-_AE-II-1785.jpg

  • Aucune note. Soyez le premier à attribuer une note !

Ajouter un commentaire