La trêve de Noël 1914

Durant le premier hiver de la Première Guerre mondiale, le froid envahit les tranchées du nord de la France. Les hommes se blottissent dans leur couverture et se réfugient dans leurs abris pour échapper aux obus ennemis. Soudain, au soir du 24 décembre, un chant vient percer le silence de la nuit, pas n’importe lequel, un chant de Noël. Le lendemain, poussés par un effort surhumain et inédit, les hommes sortent des tranchées et fraternisent avec l’ennemi qui devient le temps d’une journée un ami. Voici l’histoire de la trêve de Noël 1914, l’un des événements les plus incroyables de la Grande Guerre et peut-être l’un des nombreux miracles de Noël.

Treve de noel photo anglais allemand

Fraternisation des soldats allemands et britanniques autour d'une cigarette lors de la trêve de Noël 1914

L'enfer de la guerre

Le 28 juin 1914, l’Europe est secouée par l’assassinat du prince héritier austro-hongrois François Ferdinand à Sarajevo par un ressortissant serbe. Un mois plus tard, l’Autriche-Hongrie déclare la guerre à la Serbie et le jeu des alliances de la Triple Alliance et de la Triple Entente entre en scène. Le 3 août, l’Allemagne déclare la guerre à la France et le Royaume-Uni répond le lendemain. Commence alors un conflit sans commune mesure à ce qui s’est fait jusque-là, la Première Guerre mondiale.

Elle commence par de grandes opérations mobiles comme sur les fronts belge ou oriental. Après avoir échappé à la défaite en protégeant Paris lors de la première bataille de la Marne en septembre, la France parvient à reprendre une partie de son territoire et le front se stabilise ensuite sur une ligne de 800 km allant de la mer du Nord à l’Alsace. La guerre de mouvement laisse petit à petit place à une guerre de position lorsque les soldats s’enterrent dans des tranchées de plus en plus profondes. Les hommes se battent dans de grandes charges meurtrières pour quelques centaines de mètres et les barrages d’artillerie détruisent le paysage et les corps. Le 14 décembre, la première bataille de Champagne vient complètement ravager les pâturages et les forêts environnantes. C’est alors qu’apparaît le no man’s land, un espace où règne la mort entre les deux camps. Les hommes font face à un paysage de plus en plus lunaires où se conjuguent la mort, les intempéries et maintenant la neige et le froid de l’hiver. De chaque côté, les soldats font tout pour se protéger et prient pour qu’ils survivent un jour de plus.

Tranchee britannique 1gm

Soldats britanniques abrités dans leur tranchée ©Imperial War Museum

24 décembre 1914, l’étrange veillée de Noël

Alors que la veille de Noël semble être une nuit comme les autres, le silence nocturne est brisé par une mélodie provenant du camp allemand. En différents points du front, les Allemands entonnent des chants de Noël comme « Stille Nacht » (Douce Nuit). Contre toute attente, des témoignages racontent que des Britanniques et des Français ont répondu à leur ennemi par leurs propres champs comme « O Comme All Ye Faithful », selon le témoignage de Graham Williams de la London Rifle Brigade. Enfin, d’une même voix, les deux camps s’unissent autour d’un chant en latin, « Adeste Fideles ».

Dans le secteur d’Ypres, en Belgique, des ténors et barytons britanniques et allemands se mettent sur les parapets de leur tranchée et commencent un véritable concert de Noël. L’air de la guerre semble avoir disparu du champ de bataille. Les hommes déposent les armes et refusent de tirer les uns sur les autres tant qu’on ne leur tire pas dessus. Une trêve venait d’être implicitement signée entre les soldats.

Allemands celebrant noel sur le front de l est

Célébrations de Noël par des soldats allemand sur le front de l'Est (source inconnue)

25 décembre, la trêve de Noël

Le lendemain, toujours en certains points du front, les Britanniques se réveillent et voient des sapins posés sur le haut des tranchées des Allemands. À Ypres, un soldat allemand appartenant au 17e régiment bavarois, Carl Mühlegg, sort de sa tranchée avec non pas une arme mais un sapin et s’approche du camp britannique. À mi-chemin, il crie : « Joyeux Noël ! ». Prudents, quelques hommes se rapprochent de l’Allemand et après quelques mots se serrent la main en signe de fraternité. Ils sont suivis par d’autres camarades puis tous ceux du secteur.

Treve de noel allemand s approchant de soldats anglais

Le soldat Carl Mühlegg amenant son sapin jusqu'au camp anglais (dessin de Frederic Villiers)

C’est alors qu’un véritable miracle du Noël se produit. Les deux camps qui hier encore se tiraient dessus, commencent à s’échanger des cigarettes, de la nourriture ou même de l’alcool et des cartes. Des officiers s’entretiennent pour que les corps des défunts soient récupérés et enterrés dignement. Certains viennent même informer leurs homologues des prochaines frappes d’artillerie pour qu’ils aient le temps de se cacher, voire les invitent chez eux le temps du bombardement. Plus étonnant encore, des barbiers viennent couper les cheveux de ces hommes qui ne se sont pas rasés depuis plusieurs semaines. Des Allemands retrouvent parfois des connaissances car avant la guerre, une partie travaillaient au Royaume-Uni et parlent couramment l’anglais. Des photos sont prises, les dernières par des particuliers avant les services officiels, pour immortaliser la scène et chacun se promet de se revoir au Nouvel an pour les visionner. Sur le no man’s land des brancardiers s’affairent à enlever les corps, des aumôniers officient pour rendre hommage aux soldats des deux camps qui se font enterrer. Des grandes messes sont organisées en latin car, malgré le fait qu’ils appartiennent à deux pays bien différents, ils se retrouvent dans la foi chrétienne.

Reunion sur le no man s land durant la treve de noel

Temps de fraternisation sur le no man's land. Parmi les soldats allemands (vestes grises) on peut voir des soldats britanniques (vestes plus foncées à l'arrière-plan)

Toujours à Ypres, un match de football est organisé entre les Britanniques et les Allemands. Pour que le terrain puisse accueillir le match, les trous d’obus sont rebouchés et les buts sont marqués par des képis ou des piles de vêtements. Le ballon quant à lui, est soit une poche de cuir rempli de paille ou des objets trouvé là. Ce match regroupe près d’une centaine de joueurs. Il se termine par 3 à 2 pour les Allemands, le tout dans la bonne humeur. En d’autres endroits du front, point de match mais quelques passes échangées entre les soldats.

Match de football noel 1914

Partie de football organisée entre les deux camps (source inconnue)

Finalement, la rumeur d’une fraternisation entre les soldats arrive jusqu’aux oreilles des généraux qui somment leurs hommes de retourner dans leurs tranchées, parfois sous la menace d’une exécution. Selon les secteurs, la trêve aura duré plus ou moins longtemps, parfois un jour, une ou plusieurs semaines, voire n’a tout simplement pas existé. Il ne faut en effet pas oublier le racisme qui a motivé en grande partie la guerre et, chez les Français, la volonté de revanche sur la guerre franco-prussienne de 1870-1871 où elle a perdu l’Alsace et la Lorraine. Le 26 décembre, dans la plupart des secteurs, la guerre a repris au son des fusils et des canons. La trêve ne fut que de courte durée dans un temps quotidien de barbaries. Pour empêcher un nouvel incident, les états-majors relocalisent les unités qui ont fraternisé sur d’autres points du front. Par exemple, des Allemands sont envoyés sur le front de l’Est.

La postérité de l'événément

Si certains soldats parviennent à rendre public l’événement à travers leur correspondance avec leur famille comme le Français François Guilhem, 28 ans au moment des faits [voir livre de Mamytwink], la censure dans chaque pays parvient à camoufler cette trêve. Il était en effet nécessaire de maintenir l’opinion générale en faveur de la guerre alors que la réalité du front est loin de refléter cet enthousiasme. De plus, comment motiver les soldats à haïr l’ennemi à travers la propagande si les lettres et journaux le montrent comme un humain tout à fait normal et au contraire capable d’humanité dans le chaos. Malgré tout, l’événement est relayé en Angleterre par le Daily Mirror et le Daily Mail, les seuls à le faire.

Photo souvenir avec allemands et anglais a noel 1914

Photo de groupe où figurent des soldats allemands et britanniques (source inconnue). Elle sera reprise dans les journaux britanniques comme témoignage des faits

Sur les autres fronts de la guerre en Europe, aucun événement similaire n’a vu le jour compte tenu des différences culturelles. En effet, dans le Caucase et en mer Noire, les Ottomans ne fêtent pas Noël contrairement aux Russes, et entre les Allemands et Russes, ces derniers utilisent des calendriers différents, julien contre grégorien avec une dizaine de jours d’écart. Si l’un des deux voient des hommes sortir pour fraterniser, ces derniers sont soit immédiatement tués soit faits prisonniers.

Officiers allemangs et anglais a noel 1914

Officiers allemands et britanniques prenant la pose lors de la trêve de Noël (source inconnue)

La mémoire des événements devient ensuite une affaire privée car il n’y a pas eu de réitération les années suivantes, les généraux prenant bien soin d’organiser des barrages d’artillerie à ces dates. Pour autant, après la guerre les langues se délient et les témoignages ressortent. En décembre 1990, le groupe The Farm écrit une chanson en l’honneur de ce match de fraternisation intitulée All Together Now. C’est à partir de cette chanson qu’une statue éponyme en argile a été sculptée par Andy Edwards à Liverpool pour le centenaire de la trêve en 2014. Elle repose aujourd’hui devant l’église Saint Luke (voir ci-dessous) et on peut y voir un soldat allemand et un soldat anglais sur le point de se serrer la main au-dessus d’un ballon de football. Une copie de cette statue est présente dans la ville de Messines (ou Mesen en néerlandais) en Belgique, haut lieu de combats pendant la guerre.

Statue all together now

©Colin Gould

Depuis le début des années 2000, la trêve de Noël de 1914 est reprise par plusieurs œuvres culturelles comme le court-métrage d’animations La Guerre n’est pas leur jeu de Michael Foreman (2002), le film Joyeux Noël de Christian Carion (2005) ou encore la publicité de supermarchés Sainsbury’s où des soldats jouent au football et s'échangent du chocolat. En 2019, le groupe suédois Sabaton sort lui aussi un titre en hommage à la fraternisation intitulé The Christmas Truce dans son album The War To End All Wars.

Publié par Adrien RASATA le 24/12/2022

Sources

Ouvrages :

  • Mamytwink, Histoire de guerre, Michel Lafon, Paris, 2020, pp 67-90

Articles internet :

Articles de presse :

Vidéos YouTube :

  • A Sign Of Friendship In The Midst Of War I THE CHRISTMAS TRUCE 1914 par la chaîne The GREAT WAR, mise en ligne le 24 décembre 2014 [en ligne] [visionnée le 27/12/2021] Disponible sur : https://youtu.be/SpqVblMPRB4
  • Joyeux Noël et Exode de 1940 – Motion vs History #3 par la chaîne Nota Bene, mise en ligne le 22 juin 2015 [en ligne] [visionnée le 27/12/2021] Disponible sur : https://youtu.be/uuUIePCN6zo
  • LA TREVE DE 1914, par la chaîne Les Batailles d’un temps, mise en ligne le 25 décembre 2017 [en ligne] [visionnée le 27/12/2021] Disponible sur : https://youtu.be/OwrDHLtK_wU
  • Silent Night : The Story Of The Christmas Truce | WW1 Christmas Truce | Timeline, par la chaîne Timeline – World History Documentaries, mise en ligne le 25 décembre 2020 [en ligne] [visionnée le 15/05/2022] Disponible sur : https://youtu.be/yCRjN6qqgHc
  • The Christmas Truce of 1914: What Really Happened? par la chaîne Imperial War Museums, mise en ligne le 9 décembre 2020 [en ligne] [visionnée le 27/12/2021] Disponible sur : https://youtu.be/NaBJhmkDKmc

Crédits photos :

  1. Fraternisation des soldats allemands et britanniques autour d'une cigarette lors de la trêve de Noël 1914. Source inconnue. Disponible sur : https://www.pinterest.com.au/pin/42573158955970671/
  2. Soldats britanniques abrités dans leur tranchée ©Imperial War Museum. Disponible sur : https://www.longlongtrail.co.uk/soldiers/a-soldiers-life-1914-1918/life-in-the-trenches-of-the-first-world-war/
  3. Célébrations de Noël par des soldats allemand sur le front de l'Est. Source inconnue. Disponible sur : https://www.reddit.com/r/MilitaryHistory/comments/j9koki/german_soldiers_celebrate_christmas_in_their/
  4. Le soldat Carl Mühlegg amenant son sapin jusqu'au camp anglais. Dessin de Frederic Villiers. Disponible sur : https://www.virtualsheetmusic.com/blog/brief-history-of-christmas-carols/
  5. Temps de fraternisation sur le no man's land. Source inconnue. Disponible sur : https://www.vintag.es/2018/12/christmas-truce-1914.html
  6. Reconstitution de la trêve de Noël à Ploegsteert, Belgique (AP) Disponible sur : https://www.independent.co.uk/news/uk/home-news/christmas-truce-of-1914-letter-from-trenches-shows-football-match-through-soldier-s-eyes-9942929.html
  7. Photo de groupe où figurent des soldats allemands et britanniques. Source inconnue. Disponible sur : https://www.vintag.es/2018/12/christmas-truce-1914.html
  8. Officiers allemands et britanniques prenant la pose lors de la trêve de Noël. Source inconnue. Disponible sur : https://www.vintag.es/2018/12/christmas-truce-1914.html
  9. Statue All together now par Andy Edwards et photographiée par Colin Gould. Disponible sur : https://www.flickr.com/photos/55681839@N07/16063068492
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